Introduction
Le livre de Michael Mauboussin met en évidence le rôle sous-estimé de la chance dans la réussite.
Dans cet ouvrage, l’auteur propose des outils pour quantifier la part de chance et de talent dans des activités aussi variées que les échecs, les sports, les affaires et l’investissement.
Points clés à retenir
1. Mise en contexte
Daniel Kahneman, professeur de psychologie à Princeton, a décrit comment les gens faisaient des prédictions. En bref, ils évaluent mentalement la correspondance entre un événement et une histoire. Le problème avec cette façon de faire est que l’histoire peut être fausse et qu’ils ne se basent pas sur ce qui a déjà pu se produire dans des circonstances similaires.
Selon Kahneman, trois types d’information sont pertinentes pour la prédiction statistique :
- Le taux de base : par exemple 85% des taxis de cette ville sont verts. Si vous n’avez pas d’autre information spécifique pertinente, c’est le taux à utiliser.
- De l’information spécifique à une instance, un individu, un cas.
- La précision attendue de la prévision sachant l’information disponible.
L’art de la prédiction statistique est de pondérer adéquatement l’information de base et l’information spécifique. Cela est particulièrement important pour distinguer la compétence de la chance.
Lorsqu’un phénomène est totalement dû à la chance, comme de gagner à la loterie, on devrait se fier uniquement à l’information de base (la chance de gagner au loto). En revanche, lorsqu’un phénomène est dû uniquement à la compétence, comme le jeu d’échec, on devrait se fier seulement à l’information spécifique (chance que l’individu en question gagne selon sa performance passée).
2. Compétence, chance et trois leçons simples
Lorsqu’il est raisonnable de penser qu’un autre événement aurait pu se produire que celui qui s’est produit, alors la chance est de la partie.
La chance n’est pas tout à fait la même chose que le hasard. En effet, le hasard concerne un système tandis que la chance s’applique à une instance, un individu ou un cas.
Certaines activités laissent peu de place à la chance et impliquent presque exclusivement de l’aptitude : la course de fond, les échecs ou le violon. La situation est inverse pour des activités telles que le poker et l’investissement. Dans ces deux derniers cas, la compétence est l’acquisition d’un « bon » processus de décision.
Qu’est-ce qui différencie les activités où la chance joue un rôle négligeable et celles où elle joue un rôle important ?
Dans les activités où la chance joue un rôle mineur, un bon mode opératoire conduit presque systématiquement à un bon résultat. Dans les activités où la chance est prépondérante, un bon mode opératoire aura aussi un bon résultat, mais seulement après une longue période.
Voici un autre bon test pour différencier les deux situations. Demandez-vous : est-ce que je peux perdre intentionnellement ? Cela est facile aux échecs, mais impossible à la roulette.
Naturellement, il existe en fait un continuum d’activités qu’on peut classer selon le degré plus ou moins important qu’y joue la chance. Si la chance joue un rôle important, alors la taille de l’échantillon de résultats sera critique pour juger la compétence (ou non). En effet, à tailles d’échantillon égales, l’estimation de la moyenne est plus précise pour une variabilité des observations faible (chronos d’un sprinteur par exemple) que pour une variabilité des observations élevée (performance d’un gestionnaire de portefeuille).
Il peut sembler naturel de rechercher les exemples de succès chez les entreprises pour s’en inspirer. D’ailleurs, des millions de livres sur ce sujet se vendent chaque année. Pourtant, les études montrent que plus des trois quarts des entreprises considérées comme supérieures le doivent à la chance.
Dès que la chance a une influence sur le résultat d’une activité, alors un résultat exceptionnel aura tendance à être suivi par un résultat moins exceptionnel. Ce phénomène est connu sous le nom de retour à la moyenne. L’élément important ici est que la rapidité du retour à la moyenne est fonction de la position dans le continuum chance/talent.
Par exemple, au tennis, les cinq meilleurs joueurs mondiaux restent souvent les mêmes d’une année à l’autre. En revanche, au baseball, où la chance joue un plus grand rôle, seule une équipe, les New York Yankees, a fait partie du top 4 en 2009, 2010 et 2011.
3. Pourquoi sommes-nous si mal équipés pour distinguer le talent de la chance ?
Nous avons tendance à croire que parce que B se produit après A, que B est causé par A. Il s’agit de l’illusion post hoc, ergo propter hoc, c’est-à-dire après cela, donc à cause de cela. C’est ce type de biais qui explique les superstitions. Si par exemple, vous avez eu du succès un jour donné, vous serez peut-être incité à porter la même chemise ou la même cravate que ce jour-là.
Un autre biais consiste à penser que les événements sont plus inéluctables qu’ils ne le sont réellement. Étant donnée le dénouement d’une histoire, nous allons probablement reconstituer un enchaînement inéluctable de causes et d’effets qui produit le résultat final. Ainsi, le rôle de la chance est sous-estimé. Des fins alternatives auraient pu se produire, mais ne sont pas considérées.
Dans Good to Great de Jim Collins, onze compagnies exceptionnelles sont analysées afin d’en tirer des conclusions sur les stratégies managériales gagnantes. Le problème avec une telle approche est qu’elle ne répond pas à la bonne question : combien ont réussi parmi les entreprises qui ont essayé ces stratégies ? Peut-être que les onze entreprises sont une infime minorité. Là encore, nous avons tendance à relier des effets (la réussite) à des causes (certaines stratégies) sans tenir compte du rôle de la chance.
En conclusion, d’un point de vue statistique, il semble bien plus pertinent d’étudier une stratégie et de voir si elle a réellement contribué au succès que d’étudier le succès et voir quelles stratégies ont fonctionné.
En plus de la sous-estimation du rôle de la chance, la relation de cause à effet est difficile à déterminer. En particulier, la façon de mesurer ces relations de cause à effet influence les conclusions. Ainsi, une étude du professeur Ionnadis a établi qu’en médecine près de 80% des études observationnelles débouchaient sur des conclusions erronées ou très exagérées tandis que les études cliniques randomisées aboutissaient à des résultats vrais dans trois quarts des cas.
En fait, les études observationnelles souffrent de deux défauts majeurs. D’abord, il y a le biais du chercheur qui est plus ou moins consciemment incité à donner la « bonne réponse ». Ensuite, il y a l’excès de tests. Plus on effectue de tests, plus il y a de chance qu’on trouve un lien de cause à effet fictif.
4. Le continuum talent-chance
Lorsque le talent prédomine, un petit échantillon est suffisant pour le confirmer. Lorsque la chance est la composante principale, un grand échantillon est nécessaire pour le valider.
Lorsque la proportion relative talent vs chance est inconnue, la taille adéquate de l’échantillon peut être difficile à établir. Deux erreurs (au moins) peuvent être commises. La première est de penser que les observations à notre disposition sont représentatives. Peut-être qu’avec un échantillon plus grand, nous observerions des cas très différents. La seconde erreur est de penser que les résultats vont s’équilibrer comme dans la nature. Par exemple, une série de jours de pluie est plus probablement suivi par du beau temps. Cependant, c’est faux lorsque les observations sont indépendantes l’une de l’autre, comme au jeu du pile ou face. Vous pourriez avoir 100 faces de suite, ça ne changerait rien au fait qu’au 101ème lancer, il y a 50% de chance de tirer pile et 50% de tirer face.
Au basketball, chacune des deux équipes a possession de la balle 65 fois en moyenne durant le match. Notez que chaque possession de balle est l’occasion de transformer le score. Dans le jeu de crosse, chaque équipe a possession de la balle 33 fois seulement. Nous pourrions donc dire que puisque l’échantillon obtenu à l’issue d’un match de basket est plus grand que celui obtenu à l’issue d’un match de crosse, la chance joue un rôle moins important au basket qu’au jeu de crosse. Remarquez de plus que la durée du jeu n’a pas vraiment d’influence sur la position dans le continuum talent-chance.
Il existe ce qu’on appelle un paradoxe du talent qui n’est pas sans rappeler la course aux armements. Une entreprise peut améliorer ses opérations mais ne se distinguera pas d’un concurrent qui l’imite. Pour cette raison, paradoxalement, des accidents de parcours peuvent complètement rebattre les cartes entre les deux concurrents. La chance joue alors à nouveau un rôle de premier plan. C’est également ce qui se passe lorsque les investisseurs utilisent les mêmes stratégies. La chance départage les gagnants et les perdants. Une autre illustration de ce phénomène est le faible écart des meilleures performances sportives à la course à pied. Cela contribue à rendre plus aléatoire le résultat des courses.
Au baseball, certains batteurs de légende ont connu des séries gagnantes très longues (56 pour Joe DiMaggio). De telles séries sont le résultat combiné d’un talent exceptionnel avec de la chance.
La position sur le continuum talent-chance affecte la rapidité du retour à la moyenne. Ainsi, pour une activité où seule le talent entre en ligne de compte, la performance sera toujours la même. Pour une activité où seule la chance joue un rôle, un résultat élevé sera suivi en moyenne d’un résultat… moyen donc plus faible que le résultat précédent. De même, un résultat faible sera suivi en moyenne d’un résultat moyen donc plus élevé que le résultat précédent.
5. Placer des activités sur le continuum talent-chance
Trois questions aident à placer approximativement une activité sur le continuum talent-chance :
- Est-il facile d’associer une cause à un effet observé ? Dans un tel cas de figure, l’activité a tendance à être stable (la structure de l’activité ne change pas) et linéaire (même réaction pour une même action) et donc se situera plutôt dans la partie talent du continuum.
- Quel est la rapidité du retour à la moyenne ? Un retour à la moyenne lent est caractéristique des activités où le talent prédomine.
- Pouvons-nous faire de bonnes prédictions ? En ingénierie, dans certaines branches de la médecine, dans les compétitions d’échecs, les prédictions des experts sont dignes de confiance, mais c’est beaucoup moins le cas dans les sciences sociales.
Une autre approche consiste à considérer les deux cas extrêmes : pure chance et pur talent et à la combiner les distributions « pure chance » et « pur talent » selon la bonne pondération pour approcher la distribution observée. Par exemple, une analyse des résultats du football américain semblerait donner une pondération 52% talent, 48% chance. Compte-tenu de ce qui précède, la modélisation statistique donnerait 75% de fiabilité aux prédictions. Cela semble confirmé par les performances des meilleurs parieurs sportifs.
Enfin, une troisième méthode repose sur l’analyse des variances. Contrairement à la précédente méthode, on n’a pas besoin de connaître la forme des distributions de probabilité de la chance et du talent.
Variance (talent) = Variance (observations) – Variance (chance)
Par exemple, dans la saison 2010-2011 de la NBA, la meilleure équipe, celle des Chigago Bulls a remporté 75% de ses matchs tandis que la plus mauvaise équipe celle du Minnesota a remporté 21% de ses matchs. L’écart-type du taux de matchs gagnés par les 30 équipes participantes au cours de 82 matchs s’élève à 0,16 ce qui correspond à la Variance (observations) = 0,16² = 0,026. Le point important est que toutes ces équipes aient joué le même nombre de matchs (82 ici). D’autre part, il est facile d’évaluer Variance (chance) puisqu’il s’agit de simuler 82 matchs où chaque équipe a 50% de chance de gagner et de perdre. D’où Variance (chance) = 0,055² = 0,003. D’où Variance (talent) = 0,026 – 0,003 = 0,023. Ici la contribution de la chance n’est que de 0,003/0,026 soit environ 12%, ce qui est très faible.
6. La longévité du talent
Qu’il s’agisse de sport, d’affaires ou de capacités cognitives, prendre de l’âge réduit les performances. Au baseball, les meilleurs batteurs ont besoin d’une acuité visuelle hors norme et d’une réactivité explosive. Avec l’âge, l’acuité visuelle se détériore ainsi que les fibres musculaires spécialisées dans les efforts courts et intenses.
L’âge de la performance optimale dépend du sport mais est concentrée dans la vingtaine. Hormis des domaines très spécialisés avec des règles rigides et qui demandent une pratique délibérée (échecs, dames etc.), il en est de même pour les facultés utiles à la prise de décision :
- Intelligence fluide, c’est-à-dire la capacité à résoudre des problèmes jamais vus auparavant. Le pic est à 20 ans et les performances diminuent d’1% chaque année.
- Intelligence cristallisée, c’est-à-dire la capacité à utiliser la connaissance accumulée pour résoudre des problèmes. Ce type d’intelligence croît avec l’âge et compense dans une certaine mesure la perte d’intelligence fluide.
Le vieillissement ne touche pas seulement les individus mais les organisations aussi. Des études montrent que les performances des entreprises déclinent avec le temps. Une explication possible est que la prise de risque n’est pas ce que préfèrent les entreprises bien établies. Au contraire, elles auront tendance à privilégier les opportunités connues en améliorant des processus existants.
7. Toute les nuances de la chance
Jusqu’ici, nous avons implicitement supposé que les résultats successifs étaient indépendants. Cependant, il est aussi possible qu’il existe une mémoire dans les performances. Par exemple, un joueur peut être en feu ou malade, ce qui affecte sa performance. Des simulations ont montré que les résultats sportifs étaient essentiellement indépendants les uns des autres, mais qu’il existait tout de même une (légère) dépendance entre des résultats successifs.
Lorsqu’on observe le succès ou l’échec de chansons ou de séries télévisées, la chance semble avoir un rôle majeur mais d’une façon indirecte. A un même niveau de qualité, si une chanson est légèrement plus populaire qu’une autre, son avantage va aller en s’accentuant à mesure que les gens vont s’influencer les uns les autres. Au bout du compte, à qualités égales, l’une des chansons fera beaucoup plus de ventes que l’autre.
En fait, il existe tout un ensemble de phénomènes sociaux qui ont cette caractéristique : peu de gagnants qui accaparent l’essentiel du succès. Une poignée de livres se vendent par millions, tandis que des millions de livres font moins de 100 ventes. La loi statistique derrière ces phénomènes est appelée « loi puissance ».
Le mécanisme est intimement relié à la dépendance qui existe entre un résultat et le suivant. Par exemple, le biais d’attachement préférentiel va vous conduire à utiliser des plateformes qui sont bien connues (indépendamment de leur qualité), ce qui augmente leur succès. Par ailleurs, si un seuil critique est dépassé pour une nouvelle technologie, ou une nouvelle mode, ou une épidémie, le « succès » est pratiquement assuré.
Dans le passé, les revenus de célébrités au talent équivalent auraient été assez similaire. De nos jours, grâce à la technologie, le public va préférer acheter l’enregistrement de celui qui est perçu comme marginalement meilleur. Il en résulte une concentration massive des revenus dans un petit groupe d’artistes.
Non seulement, la chance explique l’inégalité des revenus, mais même notre perception du talent est elle-même imprévisible principalement à cause des dynamiques sociales sur ce qui est valorisé ou non. C’est une chose de comparer les temps de coureurs (une seule dimension), mais c’en est une autre d’évaluer la meilleure université (multiples dimensions). Dans ce dernier cas de figure, d’ailleurs, certaines des métriques utilisées comme la réputation de l’université sont elles-mêmes très subjectives.
8. Caractéristiques d’une statistique utile
Une statistique utile pour discriminer entre le talent et la chance doit avoir ces caractéristiques :
- Elle doit être persistante. Ses résultats doivent être cohérents sur différentes périodes.
- Elle doit être prédictive. Les résultats de la statistique doivent être indicatifs de la performance.
Ces deux critères sont mesurés au travers du coefficient de corrélation. Par exemple, supposons qu’une équipe de baseball fait un écart-type plus de points que la moyenne, et gagne 0,75 écart-type de plus que la moyenne. Ici, le coefficient de corrélation est 0,75 (toutes les valeurs entre -1 et 1 sont possibles).
Au baseball, par exemple, le taux de « strike-out » (balle renvoyée) entre deux années successives d’un batteur a une plus forte corrélation que le « batting average » (balle touchée). Cela en fait donc une meilleure statistique pour mesurer la performance puisque plus persistante.
Le principal intérêt d’utiliser une statistique plus persistante et prédictive est que cela réduit, parfois massivement, la taille de l’échantillon nécessaire pour la calculer.
Les décideurs, qu’ils évoluent dans le domaine sportif ou dans les affaires, ont tendance à se concentrer sur certaines heuristiques pour sélectionner des joueurs ou des stratégies. Ces règles du pouce fonctionnent mais elles aveuglent les décideurs sur les vraies causes du succès qui peuvent être mises au jour par l’analyse statistique.
Dans le monde des affaires, la croissance du profit par action ou « Earnings Per Share » (EPS), est souvent utilisée pour mesurer le succès d’une entreprise. Cependant, cette relation ne va pas de soi puisque le profit par action peut augmenter alors même que la valeur pour l’actionnaire est détruite. En fait, il existe peu de corrélation d’une période à l’autre sur la croissance du profit par action, et en tout cas moins que la croissance du chiffre d’affaires. D’un autre côté, la croissance du chiffre d’affaires a un pouvoir prédictif plus faible que la croissance du profit par action sur la valeur totale pour l’actionnaire…
9. Favoriser le talent
Pour les activités où l’environnement est stable et le lien entre cause et effet est direct et rapide, la pratique délibérée contribue à améliorer les compétences. A contrario, pour des activités où l’environnement est changeant et où la rétroaction est moins claire, la meilleure approche est de se concentrer sur le processus de décision.
Le principal problème survient lorsque l’intuition qui s’applique bien dans le premier cas de figure est utilisée pour les situations où la chance est prépondérante. C’est ce qui se passe souvent pour l’investissement.
Une pratique délibérée réussie implique de mettre sur pied un programme construit pour accroître la performance. Un bon programme vous sortira suffisamment de votre zone de confort pour que vous progressiez mais pas trop pour ne pas vous décourager.
Les listes de contrôles sont pertinentes dans les activités où la chance intervient peu pour s’assurer de ne rien oublier et de respecter l’ordre des opérations. Elles le sont également lorsque la chance est partie intégrante de l’activité. Il s’agit alors de respecter un processus qui garantit de bons résultats sur le long terme.
10. Gérer la chance
Lors d’une confrontation militaire avec un adversaire plus fort, il est de l’intérêt du plus faible de compliquer le théâtre de guerre afin d’accroître le rôle de la chance. Cela peut être fait, par exemple, en multipliant les engagements ou en devenant imprévisible.
L’histoire des guerres asymétriques de ces deux derniers siècles démontrent qu’un belligérant beaucoup plus faible qu’un autre a 38% de chances de l’emporter. Les bonnes pratiques consistent à éviter l’engagement lorsque la défaite est certaine et à changer régulièrement de stratégie. Le taux de réussite s’améliore avec le temps car les guérillas apprennent les unes des autres.
Un concept similaire existe dans les affaires. Dans les années 1970, Toyota et Honda ont commencé à produire des voitures petites et peu dispendieuses, un segment délaissé par les grands constructeurs américains. Après avoir améliorer leurs produits et être monté en gamme, Toyota et Honda ont progressivement augmenté leurs parts de marché.
La théorie de la disruption établit que :
- Une entreprise bien établie qui améliore un produit a tendance à réussir
- Une nouvelle entreprise qui améliore un produit existant a tendance à échouer
- Une entreprise bien établie qui crée un nouveau produit dans le cadre organisationnel habituel a tendance à échouer
- Une entreprise bien établie qui crée un nouveau produit dans un cadre autonome a tendance à réussir
Lorsque la chance intervient dans un résultat, il est difficile de démêler cause et effet. Dans cette configuration, les essais randomisés avec un groupe de contrôle sont utiles car ils permettent de vérifier des hypothèses sur la chaîne de causalité.
12. Retour à la moyenne
Karl Pearson, le statisticien, a comparé la taille des pères avec celle des fils. Il a trouvé un coefficient de corrélation de 0,5 ce qui reflète le fait que la taille est pour partie une caractéristique héréditaire. Plus intéressant, Karl Pearson observa que les fils dont le père était de grande taille avaient une taille plus proche de la moyenne (10 cm de plus que la moyenne) que leurs pères (20 cm de plus que la moyenne).
Le phénomène précédent illustre le concept de retour à la moyenne. Ce concept est difficile à saisir pour plusieurs raisons. Lorsqu’une performance diminue, nous avons tendance à rechercher une explication. En réalité, la performance précédente a probablement eu un coup de pouce de la chance.
Une autre idée fausse consiste à interpréter le retour à la moyenne comme une réduction de variance (dispersion) des résultats. Par exemple dans l’exemple de la taille des pères et des fils, les données démontrent que la distribution des tailles est assez semblable entre les pères dans leur ensemble et les fils dans leur ensemble.
En fait, le phénomène de retour à la moyenne se manifestera dès que la corrélation d’une année sur l’autre pour une mesure de performance n’est pas parfaite (=1 ou -1). Lorsque la corrélation est très faible, la meilleure prédiction du prochain résultat sera le taux de base. Lorsque la corrélation est très élevée, la meilleure prédiction du prochain résultat sera le résultat précédent. Entre ces deux situations, il s’agit de pondérer correctement le taux de base et le résultat précédent.
La formule est celle-ci :
Z = Ῡ + c.(Y – Ῡ)
Où Z est la prédiction du résultat, Ῡ est le taux de base, Y le résultat précédent, et c un facteur correctif.
Le paramètre c peut valoir de 0 (chance pure) à 1 (talent pur). Le meilleur estimateur est obtenu pour c = r où r est le coefficient de corrélation. Mais attention, le coefficient de corrélation est rarement stable dans le temps. Il y a donc une incertitude sur la bonne valeur à utiliser, si toutefois celle-ci existe vraiment.
La méthode ci-dessus suppose également qu’il existe un taux de base. Or dans le cas des lois de puissance (comme la répartition des revenus), une telle moyenne n’a pas vraiment de sens.
13. L’art de l’estimation
Voici dix suggestions pour améliorer les prédictions :
- Trouvez où vous vous situez sur le continuum talent-chance.
- Évaluez la taille de l’échantillon, la significativité statistique et le potentiel pour des cygnes noirs (événements imprévisibles avec des effets disproportionnés).
- Toujours considérez l’hypothèse nulle (commencez par le modèle le plus simple que vous puissiez imaginer).
- Considérez la qualité des boucles de rétroactions et évaluez si les incitations rétribuent la chance ou le talent.
- Efforcez-vous à imaginer des scénarios alternatifs (univers parallèles possibles).
- Développez des béquilles pour améliorer vos résultats :
- La chance prédomine : utilisez un bon processus, comprenez la psychologie, mettez en place des garde-fous institutionnels.
- Mix chance et talent : utilisez des listes de contrôle.
- Le talent prédomine : pratiquez intensivement si possible avec l’aide d’un coach.
- Ayez un plan pour les interactions stratégiques (simplifiez le jeu si vous êtes fort, complexifiez-le sinon).
- Utilisez le retour à la moyenne à votre avantage (pour faire de bonnes prédictions).
- Développez des statistiques pertinentes (persistantes et prédictives).
- Connaissez vos limites (les règles du jeu peuvent changer).