Talent vs chance : indicateurs non financiers

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Accepter un bon conseil, c’est accroître sa propre performance.

– Johann Wolfgang Goethe

Introduction

Le monde de l’entreprise est moins rationnel qu’on veut le croire. L’article de Christopher D. Ittner et David F. Larcker intitulé « Coming Up Short on Non Financial Performance Measurement » et publié par la Harvard Business Review en 2003 montre que la plupart des entreprises ont des standards douteux pour ce qui concerne la mesure d’indicateurs de performance non financiers.

Les auteurs notent que beaucoup d’entreprises se sont intéressées au taux de rétention des clients, à la satisfaction des employés et d’autres indicateurs qui sont susceptibles d’influer sur la rentabilité. Pourtant, la plupart de ces mêmes entreprises n’a pas fait l’effort requis pour identifier le type d’indicateur à mesurer pour faire progresser leur stratégie.

L’étude de Ittner et Larcker porte sur 60 entreprises des secteurs de l’industrie et du service et a impliqué 297 directeurs.

Les indicateurs non financiers sont encore moins fiables que les indicateurs financiers

Lors de l’étude, les auteurs ont observé que certains gestionnaires peu scrupuleux n’hésitaient pas à manipuler les indicateurs dans le but de bien paraître et toucher un bonus. Par exemple, à la suite d’un mauvais score, un directeur d’agence bancaire a fait venir des clients à l’agence et leur a offert des friandises pour les mettre dans de bonnes dispositions.

Au moins, en comptabilité, il existe certaines règles qui limitent les abus. Pour les indicateurs non financiers, le potentiel pour la manipulation semble plus grand.

Un des points les plus intéressants de leur étude a été de montrer que les entreprises qui suivent des indicateurs non financiers établis d’après un modèle causal entre les indicateurs et les résultats sont celles qui ont les meilleures performances en termes de rentabilité des actifs ou de retour sur capital.

Erreurs communes

Erreur 1 : ne pas relier l’indicateur à la stratégie

L’objectif d’un indicateur est d’aider à l’allocation des ressources, ou d’évaluer le progrès d’un objectif stratégique, ou de mesurer la performance des gestionnaires. Tout le défi pour l’entreprise est de sélectionner le bon parmi les milliers possibles. Cela nécessite de développer un modèle causal.

Par exemple, une chaîne de restauration rapide a identifié les principaux déterminants de son succès. Une meilleure sélection d’employés entraîne une meilleure satisfaction des employés qui améliore leurs performances, ce qui augmente la satisfaction de la clientèle, qui a son tour fait croître la rétention des clients, le nombre de transactions et le bouche à oreille, ce qui ultimement génère une croissance des ventes et une augmentation de la valeur pour l’actionnaire.

Erreur 2 : ne pas valider les liens de cause à effet

Même munies d’un modèle causal, beaucoup d’entreprises ne vont pas au bout du processus en vérifiant qu’une amélioration de l’indicateur se traduit effectivement en amélioration des résultats financiers. Manifestement, les dirigeants semblent ne pas juger nécessaire de valider leur intuition.

Dans l’exemple précédent, l’indicateur initialement étudié était le taux de roulement du personnel. Des initiatives coûteuses étaient envisagées pour retenir le personnel via des incitations financières. Du moins, jusqu’à ce qu’une analyse montre que des restaurants avec le même niveau de profitabilité avaient des taux de roulement très différents. En fait, il fallait aller une étape plus loin. Le taux de roulement vraiment important était celui des superviseurs et non celui des employés de première ligne.

Erreur 3 : Ne pas fixer les bons objectifs de performance

Parfois, atteindre ses objectifs n’est pas souhaitable. En effet, au-delà d’un certain seuil de performance, les gains marginaux diminuent, voire sont négatifs.

Par exemple, une compagnie télécoms s’était fixé un objectif de 100% de rétention des clients. Or, il est apparu que le profit n’était pas différent entre un client satisfait à 80% et un client satisfait à 100%. Autrement dit, la compagnie avait investi de l’argent en pure perte en mettant la barre trop haut.

Erreur 4 : Mesures incorrectes

70% des entreprises sondées utilisent de mauvaises métriques. Une partie du problème vient de ce que la collecte de données commence avant de savoir ce qu’on veut mesurer. Parfois aussi, la Haute Direction cherche à mesure des quantités très subjectives comme le leadership.

En règle générale, les mesures développées échouent dans deux domaines :

  • Elles ne sont pas fiables. L’indicateur est capricieux et introduit de nouvelles erreurs dans ce que l’on souhaite mesurer.
  • Elles ne sont pas prédictives. Si l’indicateur augmente, cela n’aura pas tendance à indiquer que les résultats s’améliorent.

Conclusion

Selon les auteurs, la bonne question à se poser est « quelles sont les métriques non financières qui ont le plus d’effets à long terme sur la performance économique ? »

Le mode opératoire préconisé est celui-ci :

  1. Développez un modèle causal. S’il y a plusieurs modèles concurrents, testez-les et choisissez le meilleur.
  2. Collectez les données. Les données existent déjà dans le système d’information; il s’agit de faire l’inventaire des bases de données.
  3. Transformez les données en informations. Il convient de tester la causalité à l’aide d’analyses statistiques. D’autres études marketing peuvent ensuite confirmer l’analyse.
  4. Raffinez constamment le modèle. La compétition ou l’environnement macroéconomique peut changer la donne et il est important de constamment vérifier que le modèle reste pertinent.
  5. Baser les actions sur les conclusions du modèle.
  6. Évaluer les résultats. Très peu d’entreprises réalisent des post mortem. Pourtant même si le résultat est négatif cela permettra de mettre au jour des erreurs ou des manipulations.

Dans une entreprise étudiée, la qualité du modèle causal est testée régulièrement en faisant des prédictions et en vérifiant si elles se réalisent. Cela amène de nouvelles questions qui contribuent à faire évoluer le modèle.

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