Autour du rendement à long terme des actions

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Résumé

L’article ci-dessous mesure les rendements à long terme des actions, tout particulièrement aux États-Unis. Même si le rendement à long terme fluctue selon la méthode utilisée, le périmètre et la période considérés, il se situe autour de 7% en termes réels. Compte-tenu des facteurs négatifs pesant sur l’économie, nous pensons que ce potentiel ne sera pas réalisé dans le futur. En effet, le vieillissement de la population, la zombification des entreprises, l’excès de dette, l’interventionnisme de l’État et la démondialisation vont contribuer à déprimer les profits des entreprises et au bout du compte le rendement des actions.

La valorisation excessive actuelle des actions n’est pas abordée ici. Néanmoins, mentionnons que de telles valorisations sont souvent synonymes de rendements médiocres pour le futur.

Nous essaierons de quantifier les rendements futurs des actions dans un prochain article.

La performance exceptionnelle de la bourse américaine

La bourse américaine est plutôt l’exception que la règle en matière de performance. C’est le seul marché boursier qui a opéré de manière continue depuis 1802. La plupart des autres marchés boursiers ont subi des interruptions temporaires ou permanentes causées par la guerre, l’hyperinflation ou le chaos politique. De plus, en prenant la période de 1921 à 1996 comme référence, les rendements réels (hors dividendes) sont les plus élevés pour les États-Unis à 4,3 % selon Jorion et Goetzman dans Global Stock Markets in the Twentieth Century.

Certains autres pays se sont également très bien comportés. C’est le cas de la Suède, de la Suisse et du Canada. Comme les États-Unis, ils ont évité les grandes convulsions du 20ème siècle.

D’un autre côté, pensez à ce qui est arrivé au Japon. Le Nikkei a atteint 38 915,87 points en 1989 mais est bloqué juste au-dessous de 30 000 trente ans plus tard !

Analyse historique des rendements boursiers américains

Lors de l’analyse des performances historiques des marchés boursiers, plusieurs choix doivent être faits.

  • Quelle est l’univers étudié ? Est-ce le secteur privé, le S&P 500 ou le Dow Jones ?
  • Quelle est la période d’intérêt ?
  • Les dividendes sont-ils inclus ? Si oui, sont-ils réinvestis ? Sont-ils bruts ou nets de prélèvement libératoire ?
  • Calculons-nous des rendements nominaux ou des rendements réels ?

Dow Jones Industrial Average

Maintenant, faisons un calcul simple basé sur l’indice Dow Jones. Cela aidera à se faire une idée préliminaire des rendements du marché boursier américain. La période est du 1er janvier 1900 au 23 novembre 2021 et les dividendes ne sont pas inclus. Le Dow Jones a commencé à 65,73 et a atteint 35 619,25 – 121 ans plus tard. Cela équivaut à un gain annuel composé d’environ 5,3 %. Il s’agit d’un taux nominal car nous n’avons pas tenu compte de l’inflation.

L’indice Dow Jones a également d’autres défauts, en particulier sa méthode de calcul n’a pas vraiment de sens.

Voici un indice qui est plus pertinent pour mesurer le rendement des actions à long terme.

S&P 500

Le professeur Robert Shiller a rassemblé des données sur les rendements des actions américaines depuis de 1871. Il a reconstitué le prix d’une action fictive représentant l’indice S&P 500 avec dividendes nets réinvestis. De plus, il a également calculé un indice des prix à la consommation et un indice du marché monétaire investi aux taux d’intérêt à un an pour la même période.

Source : Robert Shiller, U.S. Stock Markets 1871-Present and CAPE Ratio, http://www.econ.yale.edu/~shiller/data.htm

En 150 ans, l’indice S&P 500 est passé de 100 en 1871 à environ 2,7 millions en 2021 en termes réels et après réinvestissement des dividendes nets. Cela correspond à un rendement annuel réel de 7,1% pour les actions.

Durant la même période, l’indice du marché monétaire est passé de 100 en 1871 à seulement 5318 en terme réels. Cela donne un rendement annuel réel de 2,7%. Il s’agit là de ce qu’on appelle communément le « taux d’intérêt sans risque ».

L’écart entre le rendement des actions et le taux sans risque est appelé prime de risque. C’est la compensation de l’investisseur pour le risque inhérent aux actions boursières. Sur ces 150 dernières années, celui-ci est de 7,1% – 2,7% soit 4,4%.

Remarquez que cette période a été particulièrement favorable aux États-Unis à tous égards. Ainsi, pour le futur, il faut s’attendre à une prime de risque plus faible que 4,4%.

Le secteur non financier des entreprises

Il est possible d’élargir le champ d’étude en utilisant les données macroéconomiques mises à disposition par la FED et le ministère du Commerce américain. Les données sur la valeur de marché et les taux d’intérêt remontent à 1945. Ici, nous élargissons le périmètre au secteur des entreprises non financières. Le secteur financier a été exclu car il perçoit des intérêts au lieu de payer des intérêts, ce qui biaise toute analyse sur la dette des entreprises et le coût du capital.

Dans cette section, nous nous plaçons du point de vue de l’entreprise (et non du point de vue de l’actionnaire), ce qui va influer sur les montants de dividendes à considérer.

AnnéeIndice
des prix
Dividendes nets
(Mds $)
Capitalisa-tion
(Mds $)
Émission d’actions
(Mds $)
194510,52103,7
194611,274,897,31
194712,435,495,11,1
194813,145,994,11
194913,046,0103,81,2
195013,217,4126,71,3
195114,107,0147,62,1
195214,387,1153,22,3
195314,587,2137,61,8
195414,727,4178,91,6
195514,788,4228,21,7
195615,089,0257,62,3
195715,539,2254,62,4
195815,929,1293,82
195916,189,8345,12,1
196016,4410,5343,31,4
196116,6110,6420,82,1
196216,8111,6381,00,4
196317,0112,4467,6-0,3
196417,2514,0520,31,1
196517,5016,2577,80
196617,9416,8564,61,3
196718,4017,3664,42,4
196819,1219,0738,9-0,2
196919,9819,0756,73,4
197020,9118,3638,75,7
197121,8018,1785,511,4
197222,5419,7918,210,9
197323,7620,8909,37,9
197426,2321,5651,44,1
197528,4224,6733,39,9
197629,9727,8895,110,5
197731,9230,9850,82,7
197834,1435,9839,7-0,1
197937,1837,6956,8-7,8
198041,1844,71148,310,4
198144,8752,51257,0-13,5
198247,3654,11180,61,9
198349,3863,31652,420
198451,2467,21519,9-79
198553,0372,01743,3-84,5
198654,1872,92163,5-85
198755,8576,32680,7-75,5
198858,0482,22487,9-129,5
198960,57105,42925,0-124,2
199063,23118,32937,4-63
199165,35125,53571,418,3
199267,09134,34026,627
199368,76149,24613,721,3
199470,19158,04692,5-44,9
199571,67178,05798,3-58,3
199673,20197,66963,9-47,3
199774,48215,98366,6-77,4
199875,07241,010497,5-215,5
199976,16224,712966,5-110,4
200078,09251,314802,5-118,2
200179,66245,411474,8-48,1
200280,70254,89807,0-14,5
200382,40293,410171,8-15,6
200484,44364,512188,4-120,6
200586,88170,813289,1-276,2
200689,32471,114441,5-473,2
200791,61484,616377,7-647,7
200894,33474,213440,2-289,7
200994,06351,411481,9-40,0
201095,75375,513505,0-201,0
201198,17441,014929,0-382,6
2012100,00517,916428,0-300,0
2013101,35531,919724,8-277,3
2014102,89597,523123,6-301,9
2015103,12641,123372,3-453,5
2016104,15690,724128,7-495,9
2017106,05720,727120,6-325,6
2018108,32226,028961,6-617,4
2019109,92695,731670,2-457,8
2020111,22796,234821,2-168,8
Source : FRED, Federal Reserve Bank of St. Louis
Indice des prix : U.S. Bureau of Economic Analysis, Personal Consumption Expenditures: Chain-type Price Index [PCEPI]
Dividendes nets : Nonfinancial Corporate Business; Net Dividends Paid, Transactions [BOGZ1FU106121075Q]
Capitalisation : Nonfinancial Corporate Business; Corporate Equities; Liability, Level [NCBEILQ027S]
Émissions d’actions : Net equity issuance of domestic nonfinancial corporations (= FA103164103.Q of the Financial Accounts of the United States divided by 4).

Il y a un total de 75 années de données. Pour chaque année, le rendement nominal des capitaux propres des entreprises est obtenu comme le rapport de la capitalisation plus les dividendes nets de l’année en cours sur la capitalisation de l’année précédente. Le rendement nominal moyen des capitaux propres sur l’ensemble de la période s’élève à 11,6 %. En tenant compte de l’inflation, nous obtenons un rendement réel moyen de 8,1 % sur la période 1945 à 2020.

Remarquez que « dividendes nets » ne signifie pas ici « dividendes après prélèvement libératoire » comme dans le cas du calcul du rendement pour un actionnaire (voir plus haut). Il s’agit ici de la définition de la FED, c’est-à-dire la différence des dividendes reçus par la société moins les dividendes versés par la société. Les dividendes reçus par la société sont principalement des dividendes versés par des filiales en dehors des États-Unis. Par conséquent, pour notre propos, les « dividendes nets » de la FED représentent adéquatement le rendement sur capitaux propres.

Les émissions de capital social ont été ajoutées à titre d’information. Les montants négatifs dans cette colonne indiquent des rachats d’actions. Notez qu’ils ont été particulièrement importants depuis l’an 2000.

Facteurs à l’origine de la performance étonnante du marché boursier américain

Il existe un lien entre la performance de l’économie et celle de la bourse. Par exemple, un krach boursier peut affecter l’économie de manière considérable. Mais ce qui nous intéresse ici est la relation inverse : L’influence de l’économie sur le marché. A un court horizon de temps, les fluctuations boursières peuvent être complètement déconnectées de la réalité, comme c’est le cas en 2021. Néanmoins, sur le long terme, la performance économique va conditionner la performance des actions. C’est en tout cas ce qui s’est passé historiquement pour l’économie américaine.

Passons en revue quelques hypothèses généralement avancées pour expliquer le succès de l’économie des États-Unis.

Ressources naturelles et alphabétisation

Les États-Unis sont un vaste pays doté d’un secteur agricole et d’une industrie modernes. Le pays s’est développé au cours de trois siècles d’afflux continu de migrants alphabétisés sur un territoire riche en ressources naturelles et en sols fertiles. Les Américains auraient ainsi exploité une terre à bon compte.

Évidemment, c’est le cas d’autres nations comme le Guatemala, le Mexique et l’Argentine, qui n’ont pas eu autant de succès.

L’éthique puritaine

Bien qu’un système de croyances ne soit pas suffisant pour être prospère, Alvin Toffler note que les religions qui font la promotion de la pauvreté obtiennent ce qu’elles souhaitent.

Max Weber a avancé que l’éthique puritaine qui prévaut en Amérique a joué un rôle déterminant dans son esprit d’entreprise. Elle favorise le recours au crédit qui permet le financement de projets industriels. L’éthique puritaine aurait également encouragé les gens à améliorer leurs conditions de vie et à créer de la richesse.

Opportunités et institutions

Cette idée est battue en brèche par Alan Beattie dans False Economy.  Selon cet économiste, la religion est un frein au développement uniquement lorsqu’un groupe organisé l’utilise pour cimenter son pouvoir et empêcher toute évolution.

Toujours d’après cet auteur, le succès des États-Unis serait à rechercher non seulement dans la qualité de son immigration, mais aussi dans le fait que les immigrants se voyaient attribuer un lopin de terre, et que les institutions américaines ont su s’adapter aux crises : lois anti-trust au début du 20ème siècle, interventionnisme lors de la Grande Dépression, dérégulation dans les années 1980.

L’Argentine est l’exacte inverse des États-Unis sous certains rapports. Les immigrants qui s’installaient en Argentine étaient souvent peu qualifiés et peu alphabétisés. D’autre part, l’aristocratie foncière disposait de terrains immenses mais peu exploités. Faute de terrains disponibles, les immigrants se sont entassés dans les villes et les inégalités ont fini par générer des conflits sociaux et favoriser la démagogie.

Énergie

Il existe une autre différence notable entre les États-Unis et la plupart des autres pays. Edwin Drake a exploité le premier puits de pétrole en Pennsylvanie en 1859. Comme il existe une corrélation très forte entre la consommation énergétique et la croissance économique, les États-Unis ont donc disposé d’un avantage important par rapport à l’Europe.

Libertés individuelles

Remarquez cependant que le pétrole était tout aussi abondant si ce n’est plus au Moyen Orient depuis des milliers d’années. Mais personne n’avait pensé à l’utiliser d’une façon systématique.

Les Américains sont les premiers en avoir vu le potentiel, par exemple en substituant le kérosène à la graisse de baleine utilisée dans les lampes à huile.

Henry Grady Weaver propose dans son livre The Mainsping of Human Progress une explication très simple au succès des États-Unis : les limitations du pouvoir gouvernemental. Les Américains, n’ayant pas à se préoccuper des atteintes à leurs libertés et à leurs droits de propriété, ont pu consacrer leur énergie à produire des richesses.

Contrepoint avec d’autres pays

Les États-Unis sont la puissance dominante du 20ème siècle, économiquement, politiquement et militairement. Ils n’ont pas connu les ravages de la guerre sur leur sol, ni l’hyperinflation, ni la guerre civile au cours du dernier siècle.

La performance des actions américaines n’est donc sans doute pas représentative des marchés boursiers mondiaux. Voyons donc quelques exemples alternatifs : France, Allemagne et Japon.

Nous n’avions malheureusement pas de données pour étudier deux autres cas intéressants : la Russie et l’Argentine !

Les rendements ont été dérivés de Triumph of the Optimists, d’indices boursiers représentatifs (avec dividendes bruts réinvestis) et des indices d’inflation. Les dividendes sont bruts ici pour pouvoir faire des comparaisons internationales puisque les prélèvements libératoires changent d’un pays à l’autre.

Quelqu’un qui, en 1950, aurait examiné les données de la première moitié du 20ème siècle aurait développé une vision pessimiste de la performance des actions. En France et en Allemagne, un actionnaire aurait perdu de l’argent. Au Japon, il aurait fait du surplace. Seule la performance du marché boursier aux États-Unis aurait été positive.

Les dangers à venir

Aujourd’hui, l’Amérique est toujours une terre d’opportunités à en juger par ses sources d’énergie disponibles et potentielles, son secteur de haute technologie et son complexe militaro-industriel. Néanmoins, peut-on encore dire comme Warren Buffett que les meilleurs jours de l’Amérique sont à venir ?

Démographie défavorable

Le baby-boom a accru la demande sur les actions et poussé les prix à la hausse. En effet, les jeunes sont généralement des acheteurs nets d’actions tandis que les plus âgés sont généralement des vendeurs nets. À mesure que la génération du baby-boom vieillit et prend sa retraite, l’effet qui a stimulé les prix disparaît. Par conséquent, les rendements à long terme des nouveaux entrants seront probablement inférieurs à ce qu’ils étaient auparavant.

Source : OECD (2021), Elderly population (indicator). doi: 10.1787/8d805ea1-en (Accessed on 26 November 2021)

Indépendamment de l’offre et la demande sur les marchés boursiers, le vieillissement de la population s’accompagne d’effets délétères sur l’économie et donc à terme sur le rendement des actions. Par exemple, une main d’œuvre vieillissante est moins productive.

De plus, comme le ratio des inactifs sur les actifs augmente, cela fait peser une charge de plus en plus lourde sur les actifs. Ces derniers doivent notamment financer les dépenses de santé et les pensions des retraités qui vivent de plus en plus vieux. Comme les personnes âgées ont tendance à voter davantage que les jeunes générations, elles imposent aussi leurs préférences pour la sécurité au détriment de la prospérité.

Le phénomène de vieillissement touche tous les pays développés avec un décalage dans le temps. L’Allemagne et le Japon ont connu leurs meilleures années dans les années 1990. Pour ce qui concerne les États-Unis, la période faste se situe aux alentours de 2010, qui vient de s’achever.

Source : Estimations établies par le personnel de la Banque mondiale à partir des données désagrégées par âge/sexe des Perspectives de la population mondiale publiées par la Division de la population de l’ONU.

Moins de participation sur le marché du travail

Les quarante dernières années sont possiblement les plus prospères de l’humanité prise dans son ensemble. La période a été caractérisée par une forte croissance, une inflation faible et une hausse du niveau de vie (sauf pour la classe moyenne des pays développés).

Plusieurs facteurs ont contribué à cet état de fait, mais il n’est pas sûr qu’ils continuent d’opérer dans le futur. Nous avons déjà parlé du vieillissement de la population.

Un autre facteur qui a soutenu l’économie semble s’essouffler. Il s’agit du taux de participation sur le marché du travail. Les explications sont multiples : moindre participation des femmes, décrochage d’une partie de la population qui vit d’allocations ou s’est désocialisée, moindre participation des seniors. Par rapport à ce dernier point, l’endémie du coronavirus ne va pas inciter ce public à retourner travailler…

Source : FRED, Federal Reserve Bank of St. Louis
U.S. Bureau of Labor Statistics, Labor Force Participation Rate [CIVPART]

Démondialisation

La mondialisation a été l’un des principaux moteurs de la croissance mondiale ces dernières décennies. Elle a surtout bénéficié au turbo-capitalisme américain et au capitalisme d’État chinois.

Les multinationales américaines ont amélioré leurs profits en délocalisant dans les pays à bas coût et en organisant leur chaîne d’approvisionnement à l’échelle du globe. Elles se sont aussi lancées à l’assaut du monde pour imposer les habitudes de consommation américaines : restauration rapide, mode, cinéma, chaînes de supermarché, électronique grand public, etc. Tout cela a profité aux actionnaires des entreprises américaines.

Cependant la mondialisation, est « un fusil à un coup ». Elle a déjà eu lieu. D’ailleurs, certains parlent actuellement de risque de démondialisation. Citons notamment :

  • Les tensions entre la Chine et les États-Unis,
  • La tendance du « Juste au cas où » qui remplace le « Juste à temps », c’est-à-dire la préférence nouvelle pour la robustesse au lieu de l’efficience,
  • Les mouvements populistes en Occident qui s’opposent à l’immigration et à la désindustrialisation,
  • Les barrières à la circulation des personnes, des biens et du capital qui se remettent progressivement en place.

Valeur ajoutée et inégalités

La Valeur Ajoutée ou Produit Intérieur Brut (PIB) est une expression bizarre inventée par les économistes pour désigner la richesse créée chaque année. Il s’agit de la différence entre (1) le total des ventes de biens et services et (2) le total des biens et services intermédiaires. La Valeur Ajoutée est en quelque sorte le prix du gâteau moins le coût des ingrédients. Comme dans la vraie vie, la Valeur Ajoutée est partagée entre celui qui travaille (à faire le gâteau) et celui qui profite (propriétaire de la pâtisserie).

La part des salaires dans la Valeur Ajoutée a diminué au cours des quatre dernières décennies, tout particulièrement au sein de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques). Pourquoi spécialement l’OCDE ? Tout simplement parce que l’ouvrier français ou américain est remplacé à moindre coût par l’ouvrier roumain ou chinois.

Autrement dit, les salariés sont les dindons de la farce depuis un bon moment… pour le plus grand bonheur des capitalistes. Du moins, jusqu’ici.

En voici l’illustration aux États-Unis.

Source : University of Groningen and University of California, Davis, Share of Labour Compensation in GDP at Current National Prices for United States [LABSHPUSA156NRUG]

La Valeur Ajoutée est divisée en deux composantes, à savoir les salaires et le capital. Environ 65% vont aux salaires et environ 35% vont au capital. Ces chiffres fluctuent quelque peu selon le pays et la période comme mentionné ci-dessus. Il y a un fait intéressant à propos du capital. Pas moins de 15 % de la richesse créée annuellement est utilisée pour le remplacement du capital (par exemple : remplacement de machines obsolètes). De ce fait, « seulement » 20% de la Valeur Ajoutée rémunèrent effectivement le capital.

Certains pensent qu’il va y avoir un retour à la moyenne historique dans la répartition entre rémunération du travail et celle du capital. En d’autres termes, moins de profits pour les capitalistes et plus d’argent pour les travailleurs.

Une autre hypothèse en vogue proposée par Piketty est bien qu’il va y avoir un retour à la moyenne historique … mais celle des derniers siècles : féodalisme et exploitation des ouvriers. Si réellement c’est cela qui se produit, le rendement des actions sera le dernier de vos soucis.

L’endettement a touché ses limites

Malgré un partage de la richesse défavorable aux salariés, comment ceux-ci ont-ils pu maintenir leur niveau de vie ? Réponse courte : la dette.

L’endettement a permis à la classe moyenne américaine et plus généralement occidentale de vivre aux dessus de leurs moyens entre 1980 et 2020.

Source : FRED, Federal Reserve Bank of St. Louis
Hypothèques : Households and Nonprofit Organizations; One-to-Four-Family Residential Mortgages; Liability, Level [HHMSDODNS]
Créances : Households and Nonprofit Organizations; Debt Securities and Loans; Liability, Level [CMDEBT]
Crédit à la consommation : Households and Nonprofit Organizations; Consumer Credit; Liability, Level [HCCSDODNS]
Revenu disponible : Households and Nonprofit Organizations; Disposable Personal Income, Transactions [HNODPI]
Taux d’intérêt à 10 ans : Market Yield on U.S. Treasury Securities at 10-Year Constant Maturity [DGS10]

Là encore, nous avons atteint une limite ou nous en sommes proches. Tant et aussi longtemps que les taux d’intérêt restent au plancher, le service de la dette sera gérable. En effet, pour payer les intérêts, il suffit simplement d’emprunter à bon marché. Cette situation va-t-elle perdurer ?

Sachant que les taux d’intérêt sont au plus bas depuis 5000 ans, est-il vraiment prudent de croire qu’ils vont encore baisser alors qu’ils sont déjà proches de zéro ?

Lorsque les taux d’intérêts remonteront, cela va affecter négativement le rendement des actions. En fait, il y a plusieurs mécanismes à l’œuvre :

  • Comme il devient plus intéressant d’investir dans des obligations, certains investisseurs se débarrasseront de leurs actions.
  • Lorsque le taux d’intérêt augmente, la valeur des actions diminue puisqu’elle est égale à la somme des dividendes futurs actualisés au taux d’intérêt (modèle de Gordon et Shapiro). Les actions technologiques sont celles qui sont le plus sensible aux variations de taux d’intérêt. Comme les 5 grandes entreprises technologiques représentent à elles seules près de 25% du S&P 500, une augmentation de taux devrait avoir un impact sévère sur le marché boursier.
  • Les cours de bourse ont été soutenus par les rachats d’actions financés par de la dette. Cette manne se tarira avec des taux plus élevés.
  • Les profits des entreprises sont liés à la capacité d’endettement de leurs clients. Si le crédit devient plus dispendieux, et si certains ménages ou entreprises souffrent de l’augmentation des taux, les profits des entreprises seront affectés négativement.

Si toutefois les taux d’intérêt étaient maintenus artificiellement bas par les autorités sur une très longue période, cela entraînerait vraisemblablement une inflation importante. Dans un tel scénario, les actions boursières continueront ou accélèreront leur ascension, puisque tout le monde cherchera à se débarrasser de ses espèces pour acheter des actifs réels y compris les parts sociales d’entreprises.

L’endettement massif ampute la croissance

L’économie actuelle est malade.

L’endettement massif des ménages, des entreprises et des gouvernements pèse très lourd sur la croissance. Comme pour toute chose, la dette est à utiliser avec modération. Mais à en juger par les symptômes, nous sommes manifestement allés très au-delà du raisonnable.

Entre 1870 et 2000, la croissance réelle était de 2,2% par an aux États-Unis. A partir de l’an 2000, l’excès de dette aurait contribué à faire décliner le potentiel de croissance aux États-Unis à un niveau proche de 1,1% par an. D’une certaine manière, l’excès de dette agit comme une taxe sur la croissance future. Le mécanisme n’est pas clair, mais la dette pourrait être à l’origine de l’augmentation des inégalités, ce qui démotiverait les forces vives de la nation. Pourquoi travailler lorsqu’on peut devenir riche en achetant des actifs financés par la dette ?

La principale source de la croissance étant les gains de productivité, ce phénomène devrait donc amoindrir les perspectives de rendement des actions.

Effet richesse

D’autres symptômes d’une économie dysfonctionnelle devraient aussi nous alarmer.

Vous avez sans doute remarqué que, de plus en plus, la performance de l’économie dépend de la performance des marchés boursiers. C’est, en quelque sorte, le monde à l’envers.

La consommation est désormais corrélée au niveau de la bourse. En effet, les 20% des ménages les plus riches aux États-Unis sont ceux qui détiennent 90% des actifs financiers. Voyant leurs portefeuilles boursiers et leurs biens immobiliers s’apprécier, ils se sentent plus riches et vont consommer davantage (ils sont responsables de 50% de la consommation).

Source : FRED, Federal Reserve Bank of St. Louis
Impôts collectés par le gouvernement fédéral : U.S. Bureau of Economic Analysis, Federal government current tax receipts [W006RC1Q027SBEA]
Indice Wilshire 5000 : Wilshire Associates, Wilshire 5000 Total Market Full Cap Index [WILL5000INDFC]

Dans le graphique ci-dessus, les zones grisées correspondent aux récessions. Jusqu’au milieu des années 1990, l’évolution du marché boursier telle qu’illustrée par l’indice Wilshire 5000 n’affectait pas les impôts collectés. Mais depuis un peu plus de 20 ans, l’évolution du marché boursier et les impôts collectés (et donc l’économie) semblent synchronisés.

Cela crée donc une incitation perverse pour les autorités à entretenir la bulle sur les actifs financiers coûte que coûte. La FED est déjà intervenue à quatre reprises dans la période récente pour sortir les marrons du feu, en 1987 (baisse des taux), en 2001 (baisse des taux), en 2008 (baisse des taux et achats d’obligations), et en 2020 (baisse des taux, achats d’obligations, facilités REPO, SWAP et bien d’autres). De plus, depuis 2020, le Trésor américain est engagé dans des programmes de relance sans précédents (près de 10000 milliards de dollars) et stimule la création de crédit par une garantie gouvernementale.

A la prochaine crise, il est possible que nous assistions, comme c’est le cas actuellement en Grande Bretagne, à la monétisation directe des déficits publics. La conséquence sera la destruction de la monnaie. Dans ce scénario, les actions seront des borgnes au royaume des aveugles : les espèces et les obligations.

Taille des gouvernements

La part du gouvernement américain dans le Produit Intérieur Brut a atteint un pic de 55% en 2020 du fait de sa réaction disproportionnée au virus.

Source : FRED, Federal Reserve Bank of St. Louis
Dépenses du gouvernement / PIB : U.S. Bureau of Economic Analysis, Government Current Expenditures [GEXPND]

Étant donné la tendance contemporaine à l’interventionnisme étatique, cela ne présage rien de bon pour l’économie. Plus l’État dépense, plus sa part dans l’économie augmente et plus celle du secteur privé diminue. Or, seul le secteur privé procure les biens et services dont nous avons besoin.

Deux économistes suédois, Andreas Bergh et Magnus Henrekson, ont identifié une corrélation significativement négative entre la taille du gouvernement et la croissance économique. Plus précisément, une augmentation de 10% de la taille du gouvernement ampute la croissance annuelle de 0,5% à 1%.

Le gouvernement ne crée pas de richesse. Il peut déshabiller Paul pour habiller Jacques, mais il ne peut pas fabriquer des vêtements valables à un prix raisonnable. L’Union Soviétique en a déjà fait la preuve par l’absurde.

Zombification du secteur privé

Le fascisme ou la symbiose entre l’État et les corporations

A mesure que la place de l’État s’accroît dans l’économie, le secteur privé dépend de plus en plus du gouvernement. Par exemple, dans la compétition pour les juteux contrats publics, qu’est-ce qui est le plus payant pour une entreprise soumissionnaire : proposer la meilleure offre ou connaître la bonne personne ?

D’autre part, le pouvoir politique risque d’influencer de plus en plus l’économie, parfois au nom d’une idéologie. C’est déjà le cas avec la vogue du mouvement ESG ou « Environnement, Social et Gouvernance ». L’avenir dira si les investissements en question en valaient la peine ou s’il s’agissait d’un suicide collectif occidental.

Politique monétaire et fiscale laxiste

La politique monétaire et fiscale a également sa part de responsabilité dans la zombification de l’économie. L’argent facile, les taux bas, les prêts garantis, les plans de renflouement, tout cela a contribué à maintenir en vie des entreprises malades. Celles-ci consomment des ressources inutilement et font de l’ombre aux jeunes pousses.

D’autre part, ces politiques ont eu un effet désastreux sur le capitalisme en récompensant les imprudents et en pénalisant les épargnants. Pour paraphraser Charlie Munger, le capitalisme sans la faillite, c’est un peu comme la Religion sans l’Enfer.

Concentration et monopoles

Pour ne citer que cet exemple, le secteur bancaire a continué de se concentrer après la Grande Récession de 2008. Si, en 2008, le problème était causé par des banques à risque systémique, elles le sont encore plus aujourd’hui. Ce phénomène de concentration s’observe également dans l’énergie et les technologies.

A priori l’économie devrait pâtir de la concentration, mais pas nécessairement les actionnaires des sociétés quasi-monopolistiques, en particulier si elles parviennent comme Google, Microsoft, Facebook, Apple et Amazon à continuer d’innover.

Désinvestissement

Les facteurs précédents et sans doute beaucoup d’autres ont contribué à dévitaliser le secteur privé. Rien n’est plus symptomatique du problème que la faiblesse de l’investissement. Malgré leurs profits, les entreprises américaines prises dans leur ensemble investissent peu. Elles préfèrent verser des dividendes, racheter leurs actions ou payer des bonus démesurés à leurs dirigeants.

D’après l’article The Corporate Erosion of Capitalism de Oran Cass, la part des entreprises qui ne remplacent pas leur actif immobilisé tout en versant des dividendes à leurs actionnaires est passé de 6% sur la période 1971-85 à 49% sur la période 2009-2017 ! En d’autres termes, la moitié des entreprises américaine scie la branche sur laquelle elle est assise en désinvestissant.

Technologie

La technologie est le facteur le plus incertain mais sans doute aussi celui qui a le plus de poids, avec l’énergie, sur la croissance future.

Si une percée technologique importante avait lieu, elle pourrait avoir un effet décisif pour infléchir le cours des événements. Une telle découverte pourrait se produire dans un autre pays que les États-Unis, mais seuls les États-Unis sont en mesure de la mettre en application grâce à leurs marchés de capitaux, aux talents dont ils disposent, à la protection accordée à la propriété intellectuelle et surtout à la place qu’ils accordent à l’initiative et à la créativité individuelles.

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