Introduction
Le livre « False Economy » de Alan Beattie explore les facteurs qui influencent la réussite économique des nations.
L’auteur n’hésite pas à contredire certaines idées reçues sur l’inévitabilité de la réussite ou de l’échec sur la base de l’histoire, de la géographie, de la culture ou de la religion.
Points clés à retenir
1. Pourquoi l’Argentine a échoué et les États-Unis ont réussi ?
A bien des égards, l’Argentine et les États-Unis se ressemblent. Les deux pays sont devenus indépendants au tournant du 18ème siècle, ils sont le fruit d’une immigration européenne et ont connu la même conquête vers l’Ouest. Leurs destins sont restés plus ou moins parallèles jusqu’à la Grande Dépression.
Néanmoins, il existait une différence importante dont les effets se sont faits sentir après une longue période. Ceux qui émigraient aux États-Unis étaient souvent des fermiers d’Europe du Nord ou des artisans et leur taux d’alphabétisation était élevé. En Argentine, la situation était différente. La population immigrante était pour une large part analphabète et faiblement qualifiée. Une bonne partie des Argentins étaient originaires d’Espagne ou d’Italie où l’idéal de réussite était celui de l’aristocratie foncière.
Aux États-Unis, les fermiers obtenaient facilement un lopin de terre qu’ils pouvaient ensuite cultiver. A mesure que la conquête de l’Ouest progressait, il y eut un appel d’air sur la côte Est pour de nouveaux immigrants.
En Argentine, les incitations étaient différentes et ont favorisé une élite de propriétaires fonciers peu enclins à exploiter leurs terres. Cela a favorisé des utilisations peu productives comme l’élevage et a créé des conflits sociaux et a limité l’immigration.
L’histoire a démontré que les États-Unis, à l’inverse de l’Argentine, ont été capables de s’adapter aux circonstances : lois anti-trust au début du 20ème siècle, interventionnisme du gouvernement lors du New Deal et dérégulation après les années 1970.
2. Pourquoi Washington n’a pas de sénateurs ?
Entre 130 et 50 avant notre ère, Rome s’est transformée en ville de rentiers, de bureaucrates et d’assistés. A peu près un tiers de la ville, soit 320,000 personnes étaient sans activité et recevaient du blé de l’État. L’importante population inactive était source de troubles sociaux et c’est pourquoi des jeux étaient organisés chaque semaine pour la distraire.
L’urbanisation ne va donc pas sans risque. Dans le Nouveau Monde, les centres de pouvoir Canberra, Wellington, Ottawa et Washington D.C. ont été construits à la périphérie pour éviter les problèmes politiques d’une capitale macrocéphale telle que Rome. En effet, une capitale surdimensionnée entraîne souvent une prédation sur le reste du pays. De plus, le pouvoir politique y subit la pression des habitants de la ville dont une large part d’inactifs.
En Chine, la stratégie est différente mais poursuit le même objectif. Le pouvoir central a favorisé le développement de nombreuses villes au détriment des métropoles dont la population a en fait décliné.
Avec l’amélioration des télécommunications et la réduction du secteur industriel dans l’économie, les villes pourraient perdre leur attrait. Cependant, les exemples de Hong Kong, la Silicon Valley ou New York montrent que les villes ayant développé une spécialisation demeurent des pôles d’attraction. Indépendamment de l’emploi, les villes continuent d’attirer des célibataires qui veulent profiter d’un environnement sûr offrant une variété de services et d’expériences.
3. Pourquoi l’Égypte importe la moitié de ses denrées alimentaires ?
Lorsque l’Égypte importe du blé, c’est en réalité de l’eau qu’elle importe. Il s’agit de l’eau nécessaire à la culture des céréales. En effet, il est plus économique de les produire dans les pays qui ont de l’eau en abondance : le Canada, l’Ukraine, les États-Unis.
Les biens chers, léger, durables comme les épices et la soie sont les premiers à faire l’objet d’un commerce international. Les autres biens moins chers, plus lourd et moins durables comme le blé viennent ensuite. En général, ces biens-là sont transportés par la mer ou via un cours d’eau car les coûts de transport sont beaucoup plus faibles que sur terre. C’est ce qui explique pourquoi des villes accessibles par la mer et fortement peuplées telles que Paris, Londres, les villes du nord de l’Italie etc. ont bénéficié d’une croissance plus importante qu’ailleurs.
Avec l’accroissement de sa population, l’Europe buta contre les limites de ses ressources : terre et forêts. Le commerce avec les zones hors de l’Europe et en particulier l’exploitation du Nouveau Monde permirent dans les années 1800 de s’affranchir de ces contraintes et de se tourner vers la production industrielle. Comme la Rome antique en Méditerranée, la Grande-Bretagne dégagea les voies maritimes de la piraterie pour assurer une continuité de l’approvisionnement.
4. Pourquoi le pétrole et les diamants coûtent plus cher qu’ils ne valent ?
Le principal problème du pétrole et des minéraux en général est qu’ils ne bénéficient qu’à un petit nombre d’acteurs. La plupart des pays qui ont réduit rapidement leur taux de pauvreté l’ont fait en développant des industries qui employaient une large part de la population active et qui fournissaient beaucoup d’emplois peu qualifiés.
L’expérience des tigres asiatiques, Hong Kong, Singapour, Taiwan, et la Corée du Sud a montré que la première étape du développement consistait à fabriquer des vêtements. Le capital requis pour ce type d’industrie est modéré : un immeuble et quelques machines. En revanche, dans les industries d’extraction, les profits de la vente des minéraux disparaissent dans les poches d’un petit nombre d’employés et dans des équipements onéreux tels que des pipelines, des machines de forage etc.
En fait, c’est pire que cela. La hausse des prix des minéraux entraîne l’appréciation de la devise nationale, ce qui pénalise fortement les autres exportations. D’autre part, contrairement aux autres industries, il est difficile de concurrencer une mine ou un producteur de pétrole national. Ces entreprises bénéficient de ce qu’on appelle une rente de situation. Comme les droits d’exploitation dépendent du gouvernement, il y a une incitation à maintenir en place le pouvoir par n’importe quel moyen.
Il existe de rares exceptions à la malédiction des ressources naturelles : Dubaï, le Chili et la Norvège. Dans ces deux derniers cas, le pays bénéficiait déjà d’industries profitables. En Norvège (producteur de pétrole) comme au Chili (producteur de cuivre), un système est en place pour conserver le produit de la vente en dollars afin de ne pas affecter la devise nationale. Ces fonds sont ensuite investis et les dividendes sont utilisés idéalement pour développer le reste de l’économie.
Un autre succès éclatant est celui du Botswana qui a une entente avec De Beers pour l’extraction des diamants. Une partie des revenus revient au gouvernement et d’un autre côté De Beers a suffisamment d’assurances pour continuer d’investir dans ses mines.
5. Pourquoi les pays musulmans restent-ils pauvres ?
La civilisation islamique a stagné économiquement à partir du 12ème siècle. Possiblement, un facteur serait que la tradition musulmane a limité la croissance des entreprises. En effet, au décès d’un des associés, il fallait d’une part dissoudre l’entreprise et d’autre part partager l’argent entre de nombreux héritiers. En Europe, la transmission de l’héritage au fils aîné s’imposa comme la règle au Moyen-âge, ce qui rendait possible l’accumulation du capital sur plusieurs générations. De plus, toujours en Europe, les entreprises devinrent des personnes morales distinctes de leurs actionnaires.
On a observé un déclin similaire en Chine au 14ème siècle, en Inde depuis le 3ème siècle avant notre ère. Une hypothèse vraisemblable est que la religion est utilisée par des groupes au pouvoir pour cimenter leur emprise pour toujours. En Chine, les bureaucrates ont utilisé le confucianisme contre les commerçants et les soldats. En Inde, les prêtres et les aristocrates ont justifié le système de castes en invoquant l’hindouisme.
Dans le monde musulman, les régimes militaires des Mamelouks, des Ottomans et des Moghols et ceux qui leur ont succédé ont instrumentalisé l’islam pour empêcher l’émergence d’un pouvoir rival, notamment chez les commerçants. C’est sans doute ce qui explique pourquoi le monde musulman n’a pas adapté ses règles relatives aux associations commerciales.
Contrairement à la thèse de Max Weber sur l’éthique protestante et l’essor du capitalisme, la religion ne semble pas conditionner pas la réussite économique. En fait, le succès éclatant de communautés expatriées aussi diverses que les Indiens d’Afrique de l’Est, les Libanais d’Afrique de l’Ouest, les Chinois d’Asie du Sud-Est, les Juifs de l’Europe médiévale, et les marchands Hausa du Nigeria démontre exactement l’inverse.
6. Pourquoi nos asperges viennent du Pérou ?
Pourquoi les consommateurs en Europe ou en Amérique du Nord trouvent-ils des asperges du Pérou sur leurs étals ? La réponse est à rechercher du côté de la lutte contre le narcotrafic. En 1991, une entente a été conclue avec les pays andins, dont le Pérou, pour que les cultivateurs soient incités à faire pousser autre chose que de la cocaïne.
Non seulement les asperges bénéficient depuis de faibles droits de douanes mais de plus les États-Unis versent des millions de dollars d’aide chaque année.
Derrière ce phénomène, il y a en fait un schéma récurrent qui a été identifié par Mancur Olson. Un petit groupe d’individus partageant des intérêts en commun s’organisent pour former une coalition ou lobby. S’il y a un trop grand nombre d’intervenants, chacun comptera que l’autre fera le travail et il sera plus difficile de mener une action cohérente. Ceci explique pourquoi les lobbies de producteurs ont plus de succès à augmenter les prix que les associations de consommateurs à les faire baisser.
Une autre caractéristique importante des lobbies efficaces est qu’en plus d’être suffisamment concentrés pour être organisés, ils ne doivent avoir une assise purement locale. Par exemple, les producteurs de coton américains sont représentés par 6 états, soit 12 sénateurs.
Les lobbies se font souvent passer pour des organisations de consommateurs intéressés par une baisse des prix. Ce fut par exemple le cas du lobby des industries textiles en Grande-Bretagne au début du 19ème siècle. Le lobby militait pour des prix des denrées alimentaires plus faibles afin de réduire les salaires nécessaires à leurs ouvriers.
De nos jours, l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) est utilisée par les lobbies de différentes nations pour infliger le maximum de dommages au concurrent grâce au blocage de l’importation de produits ciblés par le plaignant.
Récemment, les petites îles d’Antigue-et-Barbude ont remporté une victoire contre les États-Unis pour avoir bloqué leurs services de paris en ligne en menaçant d’ignorer la propriété intellectuelle des compagnies américaines. Cela a piqué au vif les industries avec les plus puissants lobbies : entreprises pharmaceutiques, industrie du cinéma et de la musique.
7. Pourquoi l’Afrique ne produit pas de cocaïne ?
Même si l’Afrique produit du café, du cacao et du coton, ces matières premières ne peuvent pas être transformés sur place dans des délais raisonnables à cause de difficultés logistiques et techniques. De plus, la capacité à écouler les produits auprès des consommateurs est aussi importante.
Étonnamment, la distance compte encore. Deux pays voisins vont commercer bien plus que deux pays distants. D’autre part, les pays riches dans leur ensemble commercent peu avec les pays pauvres dans leur ensemble. Enfin, curieusement, les produits échangés entre deux pays sont relativement similaires.
Les développements technologiques tels que le télégraphe, le train, et plus récemment le téléphone cellulaire ont contribué à faire baisser les prix, les faire converger entre différents marchés et les stabiliser.
L’arrivée du conteneur standardisé en 1960 a grandement amélioré l’efficience du commerce international. Avant cette date, les coûts de fret représentaient 10% de la valeur des marchandises et la manipulation des cargaisons pouvaient prendre des semaines sans compter les vols par les dockers.
L’armée américaine a vu rapidement l’intérêt de cette invention et a contribué à l’adoption du standard. Malgré cela, il y eut une prolifération de modèles de conteneurs. Finalement, le Federal Maritime Board déclara que seule la fabrication de conteneurs 8’x8’x10’, 8’x8’x20’, 8’x8’x30’ seraient éligibles pour des subventions.
Pourquoi le Ghana n’exporte pas du chocolat vers l’Union Européenne, sachant qu’il pourrait le faire en franchise de droits de douane ? Cela est dû au coût très élevé de faire affaires dans ce pays. Parmi les plaintes les plus récurrentes des fermiers africains : la difficulté de mettre en marché leurs produits ainsi que la mauvaise qualité des routes.
Une étude auprès des compagnies de fret maritimes indique que trois quarts des retards étaient dus à des procédures administratives. Trop souvent, en effet, les bureaucrates des pays africains extorquent des bakchichs pour laisser entrer ou sortir les marchandises.
Plus que l’infrastructure déficiente, l’absence d’état de droit, l’arbitraire des autorités, le non-respect de la propriété privée et le faible niveau d’éducation sont les obstacles majeurs au développement de l’Afrique.
8. Pourquoi l’Indonésie a réussi avec un dirigeant corrompu alors que la Tanzanie a échoué avec un dirigeant honnête ?
Une idée reçue est que les pays pauvres le sont à cause de la corruption. Cela est vrai dans une certaine mesure puisque les décisions de bureaucrates corrompus sont basées sur leur intérêt plutôt que celui de l’économie. Pour autant, cela n’explique pas pourquoi les pays d’Asie où la corruption est endémique ont obtenu de très bonnes performances économiques.
Il y a corruption et corruption. Par exemple, l’Inde et la Chine se classe à peu près au même niveau de corruption, mais en Chine, il n’y a qu’un seul parti à soudoyer.
Suharto est arrivé au pouvoir en Indonésie à la suite d’un coup d’état en 1968. Il a par la suite mis en place un système inspiré de l’armée pour contrôler l’économie. La politique économique n’était pas populiste comme en Amérique latine : loi pour des comptes publics équilibrés, libre circulation du capital, les villes n’étaient pas privilégiées au détriment des campagnes.
Les compagnies étrangères qui voulaient faire affaires en Indonésie devaient payer un personnage haut placé proches des cercles du pouvoir qui assurait leur protection et transmettait d’éventuelles doléances à Suharto.
A la tête des entreprises publiques, on retrouvait les favoris du pouvoir qui se partageaient de juteux contrats et licences avec un accès privilégié au crédit. En échange, ils étaient les obligés de Suharto lorsque celui-ci leur demandait d’intervenir dans l’économie.
Lorsque la corruption prenait trop d’ampleur comme chez les fonctionnaires des douanes, il prit un décret pour émasculer l’administration et la remplacer dans les faits par une compagnie privée étrangère.
La corruption organisée est moins dangereuse pour l’économie que la corruption anarchique. Avec une organisation centralisée de la corruption, il y a moins de risque d’une dérive destructrice dans un segment de l’économie car cela nuit à tout le système.
D’autre part, si le despote pense être en place pour le long terme, il sera moins incité à la prédation. De plus, les rentes collectées seront pour une large part réinvesties dans le pays.
9. Pourquoi la Chine a réussi là où la Russie a échoué ?
Les gouvernements ne partent pas d’une page blanche. Ils doivent composer avec les décisions prises dans le passé par d’autres. Le poids de l’inertie et des habitudes rend tout changement difficile. Un pays peut donc adopter une certaine politique et s’y tenir même lorsqu’il apparaît qu’elle ne fonctionne pas.
Dans le cas de la Russie, deux caractéristiques semblent perdurer à travers les siècles : d’une part, un pouvoir exécutif dominant auquel sont inféodés les fonctions législatives et judiciaires, et d’autre part, un droit de propriété qui peut être remis en question par l’État. Ces caractéristiques semblent avoir été la conséquence de la domination Mongole qui a rendu le pays hermétique aux idées humanistes de la Renaissance.
Après la fin du bloc communiste en 1991, lorsque la même politique de libéralisation économique accélérée a été appliquée aux anciens pays soviétiques, les résultats furent très différents d’un pays à l’autre. Les pays d’Europe Centrale ou d’Europe de l’Est ont obtenu de bons résultats tandis que les autres pays ont subi de fortes réductions du PIB.
La vitesse des réformes n’explique pas leur réussite ou leur échec. En fait, au-delà des premières années de réforme, l’adaptation à l’économie de marché semblait davantage dépendre de la vitalité des institutions la soutenant : état de droit, propriété privée, administration compétente.
La Chine a également fait une transition d’une économie planifiée à une économie de marché. Dans une certaine mesure, comme la Russie, la Chine s’est tenue à l’écart des innovations occidentales. Qu’est-ce qui pourrait expliquer que la Chine ait mieux réussit que la Russie ?
Au début des années 1980, l’Union Soviétique a entreprit des réformes politiques avant les réformes économiques. L’administration qui dépendait du pouvoir politique s’est ainsi retrouvée désorganisée au pire moment.
La Chine n’a pas fait cette erreur. De plus, à la différence de la Russie, la Chine accorde davantage de pouvoir aux autorités régionales qui se font concurrence pour augmenter la croissance dans leur zone. Par exemple, les zones économiques spéciales qui ont été clés pour attirer les capitaux étrangers avaient toute latitude pour offrir des franchises d’impôts, de l’infrastructure, de l’approvisionnement en énergie et en eau.
L’administration chinoise recrute au mérite. Par ailleurs, elle a introduit des contrats de performance pour les administrateurs locaux. Surtout, cette ancienne institution a confiance en sa propre force pour ne pas craindre de mettre en œuvre des réformes économiques.
La Chine a aussi tiré parti d’un autre avantage. Les diasporas chinoises en Asie du Sud Est, et en particulier celle de Hong Kong, ont participé au développement économique en fournissant leur expertise dans les affaires.
Enfin, la Chine a pu utiliser comme guide l’exemple des Tigres d’Asie du Sud-Est et en particulier Singapour.