Introduction
Dans son livre Immoderate Greatness, William Ophuls expose les principales causes et les principaux symptômes d’une civilisation décadente.
Est-il utile de préciser que cela s’applique à notre époque ?
Points clés à retenir
Grandeur et démesure
Nous croyons à tort que la société industrielle nous épargnera le sort des civilisations qui se sont éteintes. Pourtant, comme les autres civilisations avant elle, notre société est toujours à la merci des passions humaines et des contraintes naturelles. D’ailleurs, le processus de décadence est déjà bien entamé.
La cause principale de ce processus est l’hubris, autrement dit, la démesure. La civilisation n’est pas un phénomène naturel, elle exige un sacrifice de la société qui la supporte. À partir d’un certain point, le sacrifice demandé dépasse ce qui est supportable. Le progrès s’arrête. Une dégradation, d’abord imperceptible, s’étend et affaiblit la civilisation en la rendant indolente, vulnérable, inefficiente. Finalement, la décadence devient évidente, mais il est déjà trop tard.
Limites biophysiques
Épuisement écologique
La civilisation et tout particulièrement son centre, la ville, consomme et détruit toute une palette de ressources autour d’elles. Ce processus atteint ses limites lorsque l’écosystème ne peut plus satisfaire les besoins de la civilisation sans un effort de plus en plus considérable.
Croissance exponentielle
Le cerveau humain n’est pas capable de se représenter une croissance exponentielle. L’évolution a fait de nous des individus qui vivent surtout dans le moment présent et qui sont incapables de se projeter dans le long terme.
Par exemple, une inflation de 3,7% aura pour résultat au bout de 100 ans que le pouvoir d’achat de 1$ sera réduit à 3cts. L’effet est à la fois insidieux et spectaculaire. La croissance économique a le même effet sur l’environnement. À long terme, elle le détruit.
Entropie
La deuxième loi de la thermodynamique indique que l’énergie a tendance à être dégradée en une forme de moins en moins utile : la chaleur, c’est-à-dire le désordre moléculaire. La vie – et la civilisation – n’est donc qu’une parenthèse dans la marche inexorable vers la mort de l’univers.
À notre échelle, même l’agriculture raisonnée dégrade et appauvrit les sols. Pour contrer cet effet, appelé l’entropie, il faut un apport additionnel d’énergie. C’est une erreur de croire que la technologie peut se substituer à l’énergie.
Le défi de la complexité
La civilisation tend non seulement à consommer de plus en plus de ressources, mais elle devient également de plus en plus complexe. La complexité peut être mesurée, par exemple, par le nombre de métiers et le nombre d’institutions.
Une société devient plus complexe pour résoudre les problèmes qu’elle rencontre. Cependant, la complexité a des rendements décroissants. Les nouveaux problèmes demandent une complexité de plus en plus grande, avec les coûts que cela implique.
Failles humaines
Décadence morale
Les civilisations connaissent la même progression depuis leur essor jusqu’à leur déclin : (1) l’ère des pionniers où la gloire et l’honneur sont les principales motivations, (2) l’ère des marchands où l’esprit d’entreprise domine, (3) l’ère de la prospérité où l’égoïsme et la cupidité commence à se faire sentir, et où rien ne compte plus que les droits acquis et l’état providence, (4) l’ère de l’intellect où les avancées scientifiques favorise l’arrogance et le relativisme moral, (5) l’ère de la décadence marquée par l’esthétisme, l’hédonisme, le cynisme, le pessimisme, le narcissisme, le consumérisme, le matérialisme, le nihilisme, le fatalisme et le fanatisme.
La principale force d’une civilisation est avant tout morale : la croyance dans ses valeurs et ses institutions. Tout comme pour la thermodynamique, initialement, la valeur morale d’une civilisation est dense et évolue progressivement vers des formes de plus en plus diluées.
Dysfonctionnement
La décadence morale n’est pas tout. Du fait de la complexité et de l’affaiblissement moral, il devient plus difficile pour l’élite de prendre les bonnes décisions. La société est minée par les conflits entre les masses et l’élite, et au sein même de l’élite, entre différentes factions.
Les investissements passés dans l’infrastructure, l’idéologie, et les institutions ainsi que l’existence de groupes d’intérêts deviennent un passif qui empêche la civilisation de s’adapter aux changements. Contrairement à la méthode scientifique, il n’existe pas de critère pour décider rationnellement de la meilleure option dans les débats. En pratique, chacun défend donc son groupe d’intérêt ou son idéologie préférée.
Face aux problèmes insolubles, les dirigeants ont finalement recours à la stupidité : (1) les guerres et aventures non nécessaires, (2) le pain et les jeux pour calmer la populace, (3) l’inflation qui est la plus insidieuse des trois.
Les élites feront tout pour éviter de véritables réformes. Et l’histoire leur donne raison. Machiavel considère qu’il n’est rien de plus difficile ni de plus dangereux que de créer un nouvel ordre.
Conclusion
La société industrielle remplit tous les critères d’une civilisation en pleine décadence : désastres écologiques, nature exponentielle des défis, pertes thermodynamiques, complexité, moralité déclinante, dysfonctionnements sociaux.
De plus, les systèmes sont interreliés du fait de l’économie mondialisée. Une catastrophe peut se propager instantanément à toute la planète et affecter pratiquement toutes les sociétés en même temps.
Du fait de la taille de la population humaine, de la perte de savoir-faire agricole et de l’atomisation sociale, l’effondrement à venir promet d’être d’une ampleur extraordinaire.