⭐⭐⭐⭐⭐Livre sur l’essor et le déclin de l’Occident par Jacques Barzun

Introduction

L’ouvrage « From Dawn to Decadence » de Jacques Barzun est une rétrospective érudite de l’histoire occidentale entre 1500 et 2000.

L’auteur décrit l’évolution de la pensée, de la culture et des idées dominantes en Occident au cours des cinq derniers siècles. Ses commentaires éclairent l’origine de certaines de nos institutions et de nos croyances actuelles.

Points clés à retenir

Préambule

L’Occident a toujours été tiraillé entre l’émancipation (libertés individuelles et droits de propriété) et le primitivisme (le noble sauvage, les hippies). Il y a quatre ères distinctes dans la période s’étendant du 15ème siècle au 20ème siècle :

  • 1500-1660, de Luther à Newton : dominé par ce qu’il faut croire en religion
  • 1660-1789, de Louis XIV à la guillotine : dominée par le statut de l’individu et la forme de gouvernement
  • 1789-1920, de Goethe à l’Armory Show de New York : par quels moyens parvenir à l’égalité économique et sociale
  • 1920-présent

L’humanité ne ferait rien sans les initiatives des inventeurs, grands ou petits, et l’imitation par le reste d’entre nous. Les individus montrent la voie et établissent les modèles. L’histoire du monde n’est que l’histoire de la rivalité de ces modèles

William James, 1908

L’Occident déchiré

Tout a commencé avec une révolution, autrement dit, un transfert violent de richesse et de pouvoir au nom d’une idée. Il y en eu quatre au total sur la période allant du 15ème siècle au 20ème siècle.

Leurs premiers effets et leurs conséquences imprévues se sont déroulés sur plusieurs décennies :

  • Révolution religieuse
  • Révolution monarchique
  • La Révolution française libérale et individualiste
  • La révolution sociale et collectiviste russe

La révolution luthérienne a commencé avec un article académique de Luther. Sa diffusion massive a été rendue possible par l’imprimerie, et renforcée par le travail artistique de Dürer. Dans son article, Luther a remis en question l’efficacité des « indulgences » payées. Les indulgences étaient des montant versés à l’église afin d’obtenir le pardon pour des transgressions.

Luther valorisait également l’église primitive avec ses représentants choisis (telle que dans l’évangile). Luther était loin d’être une âme sans tache. Mais il a été guidé par ce principe : « Je crois au pardon des péchés ». C’était le don de la grâce de Dieu. Sans elle, le pécheur ne pourrait pas avoir la foi et marcher sur le chemin du salut. C’était l’essence de l’idée protestante.

Pour l’observateur distant, une révolution peut ressembler à un torrent, alors que pour ceux qui s’y trouvent, c’est un tourbillon. Les motifs d’une révolution sont le mélange habituel : espoir, ambition, cupidité, peur, luxure, envie, haine de l’ordre et de l’art, ferveur fanatique, dévouement héroïque et amour de la destruction. Les mœurs sont bafouées et les coutumes brisées. Le langage grossier et l’insulte directe deviennent normaux. Les bâtiments sont dégradés, les images détruites et les magasins pillés. Des débats acrimonieux se multiplient sur des choses pourtant réglées depuis longtemps.

De quoi les gens voulaient-ils se débarrasser ? Le prêtre qui, au lieu d’être un maître, était un ignorant ; le moine qui, au lieu d’être pieux, était un profiteur ; l’évêque, qui au lieu de s’occuper des âmes de son diocèse, était un homme politique et un homme d’affaires.

Le système était pourri. Il était décadent au sens technique du terme : les gens acceptaient la futilité et l’absurde comme normaux.

Luther préférait les repentants aux pharisiens. Cet antagonisme entre la foi et la conduite morale s’est manifesté à maintes reprises dans la culture occidentale.

Après de nombreuses années de lutte en Allemagne, la nouvelle foi a été reconnue. Chaque prince pourrait choisir d’être catholique ou protestant et son choix serait imposé à son peuple. Les gens qui ne souhaitaient pas changer de foi pouvaient partir librement. L’individualisme était implicite.

La nouvelle vie

Jusqu’à Luther, les Bibles étaient très rares. Il a fait de la Bible le livre de tous les protestants. Lorsque beaucoup plus tard, le monde occidental s’est sécularisé, la lecture de la Bible a disparu chez la majorité et avec elle le fond d’idées et d’allusions communes à tous.

Dans une révolution, l’ambition est le critère qui sélectionne les dirigeants. Il n’y a pas de légitimité dans la révolution. Le pouvoir appartient à qui peut s’en emparer ; et le nouveau venu est le plus susceptible de gagner s’il est le plus « pur », strict et systématique. Calvin était un tel homme. Il a écrit l’équivalent d’un guide de référence qui a solidifié plusieurs croyances évangéliques à partir des écritures. A cette époque en effet, tout le monde avait accès à la Bible et de nombreuses innovations étaient régulièrement introduites.

Le thème applicable à la révolution n’est pas la liberté mais l’émancipation. Les révolutions commencent paradoxalement par promettre la liberté puis deviennent coercitives et « puritaines ». Créer une vie plus pure exige que les gens oublient d’autres objectifs ; par conséquent, la conduite publique et privée doit être réglementée. Le calviniste était un protestant craignant Dieu, une âme anxieuse.

La situation culturelle est délicate après une révolution. Il s’agit de savoir comment réintégrer la communauté, comment vivre avec ceux contre lesquels vous vous êtes battus. Après trois décennies de violence, les protestants ont été invités par le Conseil de l’Église. Les invitations ont été déclinées. L’Église catholique intensifiait sa Contre-Réforme à Trente pour « déraciner les hérésies, réformer la discipline ecclésiastique et la morale ».

À peu près au même moment où Calvin entraînait ses disciples à la Discipline pour faire de nouveaux convertis protestants, Ignacio de Loyola fonda la Compagnie de Jésus pour reconquérir les pays perdus au protestantisme.

Jusqu’à ce point, l’Église catholique avait su faire évoluer les enseignements qui ne faisaient pas partie de la doctrine centrale de la foi. Cela était possible dans la mesure où le clergé était le seul groupe à être alphabétisé et qu’il entretenait des débats publics et actifs en son sein. Désormais, en réaction au protestantisme, aucune évolution n’était plus possible. De manière détournée, on pourrait soutenir que Galilée a été condamné à cause des révolutionnaires porteurs de Bible.

La casuistique jésuite devint synonyme de sournoiserie. En essayant de rendre à nouveau l’ancienne foi attrayante, certains écrivains ont trouvé des moyens ingénieux pour se dispenser de devoirs simples mais pénibles. L’ordre des jésuites fournissait des confesseurs. Certains ont trouvé un rôle permanent dans les grandes maisons. Avec le temps, la pratique a conduit à de tels abus qu’elle a été dénoncée sur des bases morales et intellectuelles.

Malgré cela, les jésuites sont restés inégalés dans l’histoire de l’éducation. Leur succès était dû à la forme de formation des enseignants la plus efficace jamais réalisée. Ils ont conçu une préparation qui comprenait une formation complète et un filtrage sévère des inaptes à chaque phase d’un long apprentissage.

L’Université de Paris s’est opposée aux jésuites non seulement parce qu’ils étaient étrangers, mais parce qu’ils rivalisaient avec les salariés de l’Université en offrant un enseignement gratuit. Il n’est pas difficile pour des hommes solidement unis, intelligents et courageux de faire de grandes choses dans le monde. Dix de ces hommes en affectent 100 000

Burckhardt

Les belles lettres

En plus de l’émancipation et du primitivisme incarnés dans la nouvelle religion, et de l’individualisme qui était une justification possible à la prolifération des sectes, l’humanisme renforçait la conscience et les revendications de l’individu.

L’humanisme décrit le style des anciens, les « belles lettres » c’est-à-dire une littérature moins abstraite que la théologie médiévale, exprimée dans une grammaire plus élégante et un vocabulaire plus concis. Pour les premiers humanistes, les anciens classiques représentaient une civilisation qui traitait les affaires du monde d’une manière centrée sur l’homme. C’est dans cette perspective qu’émerge le terme Laïcité.

Cicéron est devenu le héros des humanistes : un écrivain d’une superbe prose, un orateur et homme d’État, un philosophe moral et le dernier défenseur de la Rome républicaine. Ses idées, ses discours et ses slogans ont rempli l’esprit des hommes occidentaux instruits pendant 500 ans. Jusqu’au 20 s., on s’attendait à ce que les plus instruits maîtrisent à la fois le latin et le grec ancien.

Le fil conducteur des humanistes est un corpus d’auteurs reconnus et une méthode d’étude. Les deux vont de pair avec la conviction que les meilleurs guides pour une bonne vie sont la Raison et la Nature. Quant à la méthode, elle est toujours utilisée à ce jour : citations et date exactes, consultation des travaux antérieurs, citation des sources, référencement de la bibliographie et ajout de notes de bas de page.

Pétrarque a dit « Je ne ressemble à personne de ma connaissance » et « Chacun devrait écrire dans son propre style ». Le thème sous-jacent ici, LA CONSCIENCE DE SOI, bien que lié à l’INDIVIDUALISME, en diffère en n’étant pas une condition sociale ou politique mais un état mental.

Les premiers humanistes étaient de fervents chrétiens. Leurs héros romains ou grecs leur paraissaient presque chrétiens. Érasme a fait référence à « Saint Socrate » par exemple. Au 17ème siècle, ils se déclarent stoïciens sans renoncer à leur prétention à être chrétiens.

L’effort sans fin pour changer la société pour le mieux vient de la tradition gréco-romaine.

Les humanistes oscillaient entre le platonisme, c’est-à-dire la quête de la forme pure, la pensée pure, l’amour pur – une sorte de primitivisme, et la philosophie aristotélicienne – une sorte de matérialisme.

L’imprimerie a apporté une plus grande exactitude à l’échange d’idées savant. Le prix à payer pour cette commodité : une mémoire individuelle et collective affaiblie et des spécialités qui se multiplient.

L’artiste est « né »

En plus des belles lettres, une pléthore de traités sur l’architecture, la sculpture et les peintures ont été publiés principalement par des artistes italiens. Quelles conditions amènent les grandes périodes artistiques ? La première condition requise est un groupe d’individus passionnés. Un événement ou la découverte d’une nouvelle technique attire un groupe de personnes de talent. L’intérêt obsessionnel, l’opposition et la rivalité entre les artistes élèvent ensuite la performance au-delà de la norme. Dans les meilleures périodes, la pratique précède la théorie.

Les traités de la Renaissance, déclarent que le devoir de l’artiste est d’imiter la nature. Le style est « réaliste ». En plus de plaire à l’œil, l’art graphique doit traiter d’un sujet clair, principalement chrétien ou classique.

La peinture à l’huile a apporté deux changements. Premièrement, il est devenu possible de corriger les erreurs. Ensuite, il a rendu la peinture portable.

Le statut d’Artiste s’est amélioré par rapport à son ancêtre l’artisan. Il n’était plus anonyme. Il signait maintenant son œuvre. Il choisissait également son bienfaiteur aussi souvent que son bienfaiteur le choisissait. Le paiement effectif étant parfois délicat, il n’était pas rare qu’un artiste travaille pour deux mécènes en même temps.

Contrairement à la tradition médiévale qui consistait à reproduire l’œuvre du maître, l’artiste suivait son penchant, créait son propre style comme le préconisait Pétrarque.

Alors que les nobles et leurs protégés artistes jouissaient d’une relative liberté dans leurs activités quotidiennes, ils étaient impliqués dans la politique ou dans des intrigues amoureuses et des vendettas. Ils devaient gérer leur succession et penser à long terme avec qui s’associer dans les affaires et dans le mariage. Ils n’étaient pas des oisifs. Pourtant, leur mode de vie ne pourrait être possible sans une certaine dose de dilettantisme. Le loisir était un état d’esprit, favorisé par la société de l’époque.

Les « Eutopiens »

L’Occident a été le pionnier d’un genre appelé utopies, où l’auteur imagine un monde meilleur et en particulier des États parfaits. Le thème de l’ÉMANCIPATION des épreuves de son temps est le motif principal de l’auteur. Les utopies empruntent aussi aux récits de voyages des explorateurs qui foisonnent après la découverte de Colomb au 16ème siècle. La connaissance des coutumes étrangères crée la CONSCIENCE DE SOI. Nos propres coutumes ne semblent plus inévitables.

Avec le changement des attentes, vint l’opposition des anciens et des modernes qui dura jusqu’à l’époque de Voltaire. Au lieu d’imiter les figures classiques, la contre-Renaissance valorise ce qui est nouveau et naturel. Certes, en science, il était devenu clair au 17ème siècle que les modernes étaient davantage dans le vrai.

L’héritage des « Eutopiens » est de cinq ordres : (1) l’égalité sociale est plus humaine que la hiérarchie, (2) tout le monde doit travailler et gagner sa vie, (3) les règles doivent être choisies par le peuple, (4) le mariage et le divorce ont besoin d’accommodements et (5) l’ordre existant n’est pas fixé pour toujours.

Épique et comique, Lyrique et musique, critique et public

Notre demi-millénaire de marche vers l’égalité a évolué parallèlement à la séquence des genres littéraires : épopée, tragédie, la parole lyrique parlant pour soi, le roman et la pièce de théâtre critiquant la vie. C’est-à-dire, nous sommes passé du héros de tout un peuple, au grand héros de la tragédie, au héros commun et à l’anti-héros.

Université invisible

Les anciens systèmes astronomiques ont tenu sur la durée parce qu’ils étaient bons. Ils n’avaient que quelques défauts. Par exemple, ils ne pouvaient pas expliquer pourquoi Mars semblait parfois faire marche arrière (épicycle). Ils ne pouvaient pas non plus expliquer ce qui propulsait une flèche et pourquoi elle s’arrêtait finalement.

La première amélioration ou simplification des anciens systèmes est venue de Copernic. En plaçant le soleil au centre du système au lieu de la Terre, il a pu réduire le nombre d’épicycles de 84 à 30. Mais Copernic n’a pas abandonné les cercles et les sphères parfaits et a laissé son modèle planétaire incomplet.

Le fait d’utiliser de nouveaux mots tels que masse au lieu de poids, énergie au lieu de force, gravitation au lieu de l’idée implicite dans le mot « lourd », permettait de garder à l’esprit l’idée géométrique ou l’abstraction au lieu de l’objet concret. Cela a également contribué à éliminer la fausse notion de la physique d’Aristote selon laquelle les choses se produisent dans un but final.

Descartes a perfectionné l’analyse, c’est-à-dire la méthode pour décomposer les problèmes en parties plus simples, les résoudre et réassembler le tout. C’est la méthode idéale pour la science, car elle suppose que la chose analysée est composée de pièces, comme une horloge.

Bacon a fait peu pour la science mais beaucoup pour faire avancer la cause de la science dans la population en général. Il a défié l’autorité des anciens et a insisté sur une observation attentive, des enregistrements méticuleux et la vérification d’hypothèses exemptes de notions préconçues. Sans Bacon, la science serait restée l’activité dangereuse qu’elle était à l’époque de Galilée, principalement à cause des opinions mal informées des masses.

Jusqu’à la fin du 19ème siècle, les inventions pratiques ont précédé la science. Les inventeurs ont construit des appareils sans comprendre pourquoi ils fonctionnaient. Quelque chose de semblable se produit aussi dans la littérature et les beaux-arts.

Les sciences se sont fortement appuyées sur l’expérimentation et cela nécessitait des instruments. Pour observer le ciel, il fallait un meilleur télescope au 17ème siècle, ce qui demandait à son tour la maîtrise du soufflage du verre et de la métallurgie. Les marins ont amélioré la cartographie par l’utilisation de la géométrie, qui a popularisé la discipline. On dit que Newton a écrit ses Principia en langage mathématique à cause de la vogue de l’époque.

La construction des bâtiments et des canaux a également bénéficié de l’application des calculs, ce qui a conduit en retour à des progrès en mécanique et en hydrostatique. Tout cela contribua lentement à convaincre le public de l’utilité de la science en dépit des expériences inutiles de l’astrologie et de l’alchimie.

Le commerce, et en particulier la comptabilité en partie double inventée au 16ème siècle à Venise, favorise le développement de l’algèbre. La comptabilité en partie double insistait sur l’exactitude au centime près, ce qui n’est pas un trait aristocratique. La méthode reposait également sur des équations et des abstractions. Il semble que le signe moins provienne des expéditions qui variaient un peu en poids. Lorsque cela se produisait, la différence était marquée d’un signe plus ou moins afin de faire une transaction équitable.

Enfin, un changement d’attitude propulsa la science. L’alchimiste travaillait en secret pour une bonne raison. Mais le scientifique s’est rendu compte qu’une grande vérité se découvre petit à petit. Tout le monde profite de l’échange d’idées et de la correction des erreurs.

Par exemple, le mathématicien Mersenne jouait le rôle d’une sorte de bureau de poste où les chercheurs envoyaient leurs derniers calculs. En 1645, à Oxford, une université d’un nouveau genre fut créée et regroupa médecins, physiciens et mathématiciens. Celle-ci devint plus tard la Royal Society of London. Le journal de l’académie enregistrait les conférences et les discussions au sein du groupe et mettait à l’honneur des articles choisis. Cette institution est l’ancêtre de l’association professionnelle.

Pascal est celui qui a montré que tout ne pouvait pas être soumis à l’esprit géométrique et à la méthode de Descartes car tous les composants ne pouvaient pas être identifiés. D’autres vérités, sur l’amour, l’ambition ou le bon gouvernement sont accessibles par « l’esprit de finesse », ou l’esprit intuitif.

Les révolutions des monarques

La guerre des sectes appelle une autre révolution, celle des monarques, dont le but est de ramener la paix et la stabilité.

Avant le monarque, le roi n’était que le premier parmi ses égaux. Les duchés étaient constamment en guerre et se disputaient des territoires. La transition du roi au monarque et du royaume à l’État-nation a été lente. Il lui a fallu environ 200 ans pour se développer. L’Allemagne et l’Italie, en particulier, étaient en retard à la fête.

Le facteur de différenciation décisif est lorsque le monarque détient le monopole de la guerre et de la fiscalité. Cela signifie à son tour que le monarque a l’argent pour payer une armée permanente. L’argent permet aussi de payer une autre armée de fonctionnaires pour faire respecter la fiscalité, la justice et le monnayage. Pour ces raisons, les monarques devaient être financièrement indépendants et prudents avec l’argent.

La monarchie implique la centralisation. Richelieu a mis en place un tel système en France. Un réseau d’espions et d’hommes de paille était maintenu pour contrôler les complots des nobles et des clercs. Les huguenots étaient assignés à certaines villes seulement. Les nobles ont été tenus en échec, notamment par des exécutions pour avoir enfreint la loi.

La monarchie trouva des alliés dans les artisans et les marchands qui en voulaient aux seigneurs de la guerre qui les humiliaient et perturbaient leur commerce. Ils fournissaient également la majeure partie des administrateurs compétents du royaume. En effet, les aristocrates ne s’intéressaient pas à la paperasse. En conséquence, les plus lettrés de la bourgeoisie ont commencé à exercer le pouvoir au nom du monarque.

La fusion de l’aristocratie et de la bourgeoisie s’est également produite au niveau culturel : les idéaux chevaleresques et la rigueur marchande se sont mélangés pour créer les mœurs civilisées des 300 années suivantes.

Le monarque ne pouvait pas être un dirigeant séculier. Il avait besoin de l’Église, qu’elle soit catholique ou protestante. L’Église servait son peuple et soutenait fermement son gouvernement légitime. À une époque sans presse et peu alphabétisée, le sermon était aussi un bulletin d’information et un instrument de propagande du pouvoir. Elle fournissait en outre des services sociaux à la communauté.

Le livre Le Prince de Machiavel est essentiellement un portrait du monarque. Dans une Italie déchirée par la violence, l’objectif du Prince était de rendre les conditions de vie tolérables. Il illustre la raison de l’État, qui fait des choses injustes pour promouvoir l’intérêt de l’État.

Puritains et démocrates

Au 17ème siècle, l’autorité du monarque est contestée par le Parlement, qui est presbytérien et par l’armée de Cromwell, qui est puritaine. Le conflit a dégénéré en une guerre civile meurtrière.

Certains historiens pensent que la clé des conflits de l’époque réside dans l’affrontement entre une aristocratie foncière et une classe marchande émergente qui a bénéficié du commerce international.

Pourtant, un autre point de vue verrait les puritains, les presbytériens et les indépendants comme des réformateurs politiques qui différaient seulement par leur degré de radicalisme. Ces sectes chrétiennes et d’autres mues par l’égalitarisme visaient quelque chose qui ressemblait à la démocratie.

Si une meilleure religion pouvait être obtenue en se débarrassant de la hiérarchie dans l’Église et en élisant le ministre dans leur congrégation comme ils l’avaient fait, pourquoi ne devrait-elle pas s’appliquer à la société en général ? Pourquoi auraient-ils besoin de supérieurs politiques et sociaux ?

Les Puritains croyaient que chaque être humain a le droit naturel de vivre sans être inquiété et que le gouvernement est nécessaire pour garantir ce droit. Si une loi civile va à l’encontre d’un droit naturel, la loi ne doit pas être suivie et il y a de bonnes raisons de renverser le gouvernement.

Le livre Léviathan de Hobbes décrit la nature de l’homme comme celle d’un agresseur et conclut qu’un gouvernement doit être fort pour empêcher le chaos. L’autre livre qui rivalise avec l’avant-gardisme de Leviathan est Commonwealth of Oceana de James Harrington. La république décrite dans cet ouvrage implique une constitution écrite, une législature avec deux chambres, une rotation des fonctions et un vote à bulletin secret de tous les citoyens. L’auteur insiste sur le fait que lorsque le pouvoir politique et le pouvoir économique sont en opposition, la révolution s’ensuivra.

Les Puritains incarnaient une ferveur religieuse à la fois viscérale et intellectuelle. Chacun d’eux surveillait attentivement son comportement et celui des autres. Chaque déviation pouvait se propager comme une maladie dans la communauté et devait être combattue. La persécution, une sorte de guerre civile religieuse, était devenue un devoir.

Cromwell, un Puritain, bien qu’animé de la même ferveur religieuse, a également compris qu’il vaut mieux ne pas être trop certain de ses croyances. En tant qu’homme d’État, il a également incarné la tolérance. Si un homme a bien servi l’État, alors on ne devrait pas le juger durement pour ce qui concerne sa religion. De plus, la répression ne pouvait qu’attiser la dissidence et non la réduire. Cromwell a également rendu l’Angleterre plus prospère grâce aux « Actes de Navigation » qui ont accru le commerce international et marqué la naissance de l’Empire britannique.

On se souvient de Cromwell comme du monarque modèle, c’est-à-dire d’un chef d’État qui est un bon administrateur et qui obéit aux lois.

En Nouvelle-Angleterre, les Puritains ont laissé un héritage ambivalent : la tolérance de la conscience individuelle dans la mesure où elle est liée au droit de participer au gouvernement et d’exiger la justice sociale, et l’acceptation du plaisir de vivre, des arts et de la promiscuité. Les Puritains ont également fait preuve d’un sens élevé du devoir.

Le règne de l’étiquette

Le jeune roi Louis XIV a eu une enfance mouvementée qui l’a poussé à rechercher la stabilité. Il y parvint de deux manières, d’abord en étant un administrateur diligent siégeant chaque jour en conseil avec ses secrétaires, puis en développant une cour et une étiquette pour contrôler les nobles.

Louis XIV a grandi pendant une guerre civile anarchique qui impliquait les nobles rancuniers, une assemblée d’avocats voulant imiter le Parlement de Londres et la foule parisienne à la recherche d’un minimum de démocratie.

La cour coûtait chère à entretenir, mais moins que les espions de Richelieu et les guerres continuelles. Les nobles étaient occupés à se disputer des faveurs et à participer à des divertissements réguliers. Le roi remarquait les absents et cela suffisait à alarmer leurs proches à la cour. La cour était en sous l’emprise d’un roi qui inspirait admiration et terreur.

L’ère des petits tyrans fut révolue avec la centralisation accrue de Colbert, un bourgeois à la tête du ministère des Finances. Il créa une armée de fonctionnaires enregistrant et justifiant toute dépense et tout revenu et faisant respecter les réglementations sur les importations et les exportations.

L’aristocratie, la bourgeoisie et le peuple étaient partagés sur les avantages et les inconvénients de la monarchie. Les marchands se plaignaient des tarifs élevés, et les nobles de leur perte de liberté et même de la trahison de leur race. Les roturiers avaient la nostalgie de leurs assemblées et des États généraux. Les intellectuels comme Montesquieu craignaient que la monarchie ne se termine par la tyrannie.

Un autre groupe, les jansénistes qui incluaient des éléments du protestantisme tels que la prédestination et l’absence de libre arbitre, restaient fidèles à la foi catholique. Ils s’opposaient à la laïcité accrue et à l’influence des jésuites un peu trop flexibles.

Après avoir épousé en secret Mme de Maintenon, une fervente catholique, la cour accorda plus d’importance à la religion ne serait-ce que par hypocrisie. Un autre effet fut la persécution des huguenots, les meilleurs artisans de France, qui furent massacrés ou s’enfuirent en Angleterre, en Hollande et en Prusse.

Le siècle encyclopédique

Pierre Bayle, réfugié en Hollande, a écrit une analyse critique de la Bible, où il a mis en évidence les contradictions et affiché son scepticisme. Mais c’est Voltaire qui a popularisé ses idées dans les salons. Il peut y avoir un dieu mais quand il a créé le monde, il l’a établi selon les lois de la science, par la suite n’a jamais interféré avec. Alors à quoi bon les moines, les évêques, les bougies et autres rituels ?

Après un séjour de deux ans à Londres, Voltaire écrivit ses Lettres Persanes et mit à la mode les mœurs et les idées anglaises.

En particulier, il a présenté les travaux de Newton et les idées de Locke sur le gouvernement. Il était devenu évident que la liberté d’expression et de débattre aidaient à faire ressortir la vérité. John Locke a promu la même idée que les Puritains selon laquelle le gouvernement pourrait être renversé si l’autorité était mal utilisée, mais contrairement aux Puritains, l’argument de Locke était basé sur la Raison et non sur la Religion ou la Nature.

La Déclaration des droits de Locke traite de la vie, de la liberté et de la propriété. Selon Locke, le pouvoir ne devrait pas résider dans un dirigeant absolu, que ce soit un monarque ou un groupe de personnes, qui se transforment en tyrans, mais dans le peuple à travers deux groupes de représentants. Certains d’entre eux font les lois, tandis que d’autres les exécutent.

Le système anglais comporte un Parlement (Commons and Lords), dont les Communes sont élues et responsables de la fiscalité et de l’armée. En raison du danger toujours présent d’un coup d’État par l’armée, une disposition astucieuse, le Mutiny Act, à renouveler chaque année, serait nécessaire pour donner force de loi aux disciplines ou aux cours martiales.

Diderot contribua peut-être plus que Voltaire à l’avancement des idées « nouvelles » en publiant une Encyclopédie. Ce travail se heurta à la résistance des jésuites et des jansénistes et de l’establishment pendant 25 ans. Malgré la censure, l’ouvrage a trouvé un public et est devenu une référence sur de nombreux sujets, notamment les arts, l’artisanat et les outils de l’époque.

En ce qui concerne la science, le progrès le plus important a été la découverte de l’électricité. D’autres percées ou inventions comprennent : le développement de l’hydrodynamique, qui a amélioré la construction de ponts et de navires, le thermomètre, la pompe, la machine à vapeur de Watt, la navette volante et la jenny tournante, et une horloge précise utilisée pour mesurer la longitude. Jenner a développé un vaccin de vache contre la variole. Lavoisier, le chimiste, isole les éléments et les classe.

Toutes ces avancées ont été rendues possibles par le développement des mathématiques, en particulier du calcul différentiel. Dans de nombreuses villes, des lieux ont été mis en place où les personnes instruites se mêlaient aux curieux afin de leur montrer les derniers développements de la science. Des prix pour les questions contestées ont été offerts.

La troupe oubliée

La Révolution française aurait pu être une transition pacifique d’une monarchie absolue à une monarchie constitutionnelle. Cependant, les hommes qui ont mené la révolution manquaient de deux qualités nécessaires : l’habileté politique et l’habileté administrative. La première est la capacité de comprendre ce qui peut être fait et de pousser les autres à le vouloir. La seconde est l’art d’empêcher une situation de sombrer dans le désordre.

Divers groupes organisés, clubs et sociétés étaient à l’origine d’actions militantes pour faire pression ou menacer l’assemblée. Ces groupes connus sous le nom de « Sans Culottes » n’étaient pas toujours unis mais ils agissaient de concert dans les moments critiques.

La Révolution a également mis en avant l’idée des « Droits de l’Homme ». Elle a étendu le suffrage à une grande partie de la population masculine. Elle créa aussi deux France, l’une laïque et l’autre résolument catholique.

La Révolution française a été la clé de la naissance du nationalisme et du libéralisme (droits individuels et gouvernement représentatif). Les ennemis étrangers et intérieurs ainsi que la faim ont conduit à un régime de terreur pour protéger la patrie.

Robespierre créa ainsi le premier État policier. Aux côtés de Robespierre, Carnot, un brillant administrateur, lève une formidable armée populaire de 750 000 hommes, les ravitaille et les organise suffisamment pour qu’ils s’imposent sur le champ de bataille. En réunissant dans un combat commun des peuples de différentes provinces, la Révolution a contribué à créer une nation et à exporter l’idée du nationalisme dans toute l’Europe.

Le travail de l’esprit et du cœur

Le romantisme n’est pas tant un mouvement qu’un Zeitgeist, l’esprit de l’époque. C’est un phénomène comme la Renaissance et le puritanisme. D’une certaine manière, c’est une réaction à la foi en la Raison au 18ème siècle, mais ce n’est pas de l’anti-intellectualisme.

Cette ère s’étend de la dernière décennie du 18ème siècle au milieu du 19ème siècle. Rousseau, Kant, Burke et Goethe ont été les pionniers lorsqu’ils ont promu l’idée que les humains sont animés par des passions. La raison n’est pas un ennemi mais un moyen d’accomplir ce que le cœur veut. Plus précisément, le schéma du romantisme est d’abord le sentiment, puis l’introspection pour lui donner forme et sens, enfin l’aventure soutenue par la foi.

La mère des parlements

La Révolution française a favorisé l’individualisme en ce sens qu’il était désormais entendu que l’individu était libre d’agir comme il l’entendait tant qu’il ne portait pas atteinte aux droits d’autrui et à la nation dans son ensemble. Les intérêts intermédiaires des guildes et des groupes n’étaient plus pris en compte.

Partout en Europe et dans le Nouveau Monde, les gens ont remis en question les anciennes façons de faire. Le modèle à suivre était celui de la Chambre des communes en Angleterre. Mais malheureusement, l’évolution des arrangements politiques n’a pas apporté l’émancipation attendue.

En fait, le sort de l’individu était objectivement pire dans un monde dominé par les industriels, où il était isolé et où les machines dégradaient les conditions de travail. C’était une époque de « pauvreté au milieu de l’abondance ». Incidemment, le développement de l’industrie a rendu les réglementations, les contrôles, les inspections et les statistiques incontournables ne serait-ce que pour sauver des vies.

Le socialisme était une réaction aux nouvelles conditions qui prévalaient pour les multitudes. Elle a fini par prendre l’une des deux formes, la dictature d’un parti unique ou l’État-providence sous le contrôle d’un parlement démocratique.

Aucun parlement n’a été aussi apte à remplir ses fonctions que le parlement anglais. Leurs imitations ultérieures en Europe et ailleurs étaient soit dysfonctionnels, soit de pures façades. Les autres parlements, y compris celui des États-Unis, étaient également limités par l’évolution des normes et des circonstances. Leurs constitutions écrites sont devenues obsolètes à un moment donné, ce qui a généré des crises parlementaires.

En revanche, le Parlement anglais n’est pas seulement composé d’une Chambre des communes et d’une Chambre des Lords, mais aussi d’un ensemble de coutumes et de règles non écrites appelées le « roi au Parlement » qui régit ce que chacun des trois éléments peut ou ne peut pas faire. Cette caractéristique de juger quand et comment changer les choses est difficilement reproductible. Une telle qualité a en effet été acquise par les Anglais dans la douleur au cours de plusieurs siècles.

Le Parlement anglais a évolué d’une assemblée d’intérêts tels que l’église, l’aristocratie, les capitalistes… à un système bipartite. En effet, dans le système « un homme, un vote », la force dominante est l’opinion publique, mais elle est imprévisible. Le système bipartite offrait l’avantage d’avoir moins de frictions car un gagnant clair émergerait toujours. Il convient également de noter la disposition spatiale du parlement qui met en vis-à-vis la Droite et la Gauche, ce qui décourage les dispositifs théâtraux et les discours abstraits d’autres parlements semi-circulaires.

En Amérique, Tocqueville a relevé les qualités exceptionnelles d’un peuple ferme, non servile, ouvert dans ses rapports avec les autres, libéré du passé et prêt à s’associer bénévolement pour de bonnes œuvres. Pourtant, Tocqueville sentait que le grand danger de la démocratie américaine était la tyrannie de la majorité à la fois juridiquement et socialement.

Cette époque fut aussi celle des chemins de fer, du développement de la thermodynamique et du triomphe de la vision mécaniste du monde. C’est aussi à ce moment de l’histoire que le philosophe naturel amateur est devenu le scientifique à temps plein, par exemple en expérimentant sur l’électricité. Helmholtz formule une vision d’un monde d’atomes liés par des forces fondamentales.

Un sommet des énergies

Le tournant du siècle a été à bien des égards une réaction à la morale conventionnelle. À sa place, les artistes ont promu une philosophie du pragmatisme : faire face aux circonstances en recherchant le résultat le plus harmonieux.

Le monde industriel, l’impérialisme et les luttes ouvrières les ont aliénés. Certains comme Rimbaud, Isidore Ducasse ou Alfred Jarry souhaitaient le détruire. D’autres, appelés les Décadents, étaient satisfaits de voir le monde s’autodétruire. Les symbolistes, quant à eux, ont choisi de s’évader en imaginant un univers fantastique.

Plus généralement, l’art est devenu un « art pur », plus abstrait et plus éloigné de la réalité. Comme le scientifique, l’artiste a cherché à créer une expérience pour illustrer un principe général. Son héritier, l’art du 20ème siècle, n’a pas de sens sans comprendre cette idée.

Les mouvements artistiques de l’époque visaient à désorienter et à désorganiser les sens. Le modèle actuel de la poésie vient de cette époque : vers libres, déformation du langage, obscurcissement du sens.

Pendant ce temps, le mouvement naturaliste a attiré l’attention du public sur des situations actuelles insupportables. Leur approche consistait à documenter la réalité sur la base de faits et de statistiques, mais ce n’était pas du réalisme. Des artistes comme Zola cherchaient à exposer les maux sociaux.

La révolution sexuelle s’est produite à cette époque, et non au milieu du 20ème siècle, comme on le croit. De nombreux romans et traités ont été publiés sur le sujet. L’émancipation des femmes reflétait la révolution sexuelle. Le divorce est devenu plus courant.

La santé et l’hygiène corporelles ont pris de l’importance : assainissement de l’eau, toilettes à chasse d’eau, etc. De nombreux sports de balle ont été inventés. Le mouvement des scouts a été fondé et les écoles ont ajouté la gymnastique à leurs programmes.

Les progrès sur la santé ont été contrebalancés par une utilisation plus répandue des drogues par les classes supérieures et une épidémie de maladies mentales et sexuellement transmissibles.

En sciences, Michelson et Morley ont montré qu’il n’y avait pas d’éther dans l’espace. Mendeleïev a produit un tableau d’éléments qui a prédit de nouveaux éléments et leurs propriétés. Gibbs, inspiré par la thermodynamique, a créé la chimie physique. En cette fin de siècle, de nombreuses incohérences entre les différentes branches de la science ont été identifiées et ont appelé à un grand nettoyage.

Pasteur a découvert des micro-organismes et des moyens de les tuer. Claude Bernard a exploré les fonctions des organes et le système circulatoire. C’est aussi une période de progrès rapides en chirurgie.

La décennie cubiste

L’impressionnisme est le dernier héritier du romantisme. Comme Zola, les impressionnistes ont travaillé sur une recréation de la nature et ont choisi leurs sujets parmi des objets communs : une gare, une cathédrale, etc.

En 1908, une autre école, les cubistes, dirigée par Braque et Picasso rompt avec l’impressionnisme. Cette école cherchait à représenter l’essence de l’objet et à suggérer le mouvement. Le bon terme pour décrire les cubistes est « art résiduel ». Il s’agit de supprimer le particulier et l’individuel pour ne laisser que le général et l’abstrait. L’art moderne est le descendant direct du cubisme.

Le populisme est caractéristique du tournant du siècle. C’est une présence fortement ressentie des gens, de leurs besoins, de leurs droits, de leurs comportements et de leurs idées. C’est aussi à cette époque que la sociologie devient une science sociale indépendante. Le sondage est issu de la sociologie et de sa volonté d’étudier toute activité sociale.

Pour résumer les leçons tirées de 500 ans d’histoire occidentale, on peut observer que :

– Une époque est caractérisée par un ou deux besoins pressants, mais il y a désaccord sur les remèdes à prescrire.

– Les meilleures œuvres d’un mouvement sont produites lorsque le combat fait rage pour vaincre le précédent mouvement.

– Les idées en Occident, font leur travail en s’appuyant sur des slogans simples. C’est après coup que les savants et les partisans lisent les détails de la théorie.

Le pragmatisme, qui aurait dû s’appeler instrumentalisme, est une méthode pour tester la vérité des idées en les mettant en action et en voyant les résultats. En ce sens, Nietzsche est un pragmatique. Il critique à la fois l’homme du commun et l’intellectuel conformiste sur des bases psychologiques et sociologiques : ils flétrissent l’individualisme et le progrès des choses.

La grande illusion

Les années 1890 ont vu l’avènement de journaux bon marché qui diffusaient la propagande des entreprises et du gouvernement. Cependant, les journaux ont également servi d’outil pour éduquer les masses en matière de santé, d’affaires, de finances, de sports, de mode ou de théâtre.

La principale question de l’époque était la question sociale. En Angleterre, les socialistes Fabiens ont été préférés au marxisme. Cette variété de socialisme convenait mieux au tempérament anglais en transformant progressivement le pays en État-providence.

Les électeurs d’aujourd’hui devraient tous être appelés des socialistes conservateurs libéraux. Chaque parti représente une combinaison différente de ces dimensions. Libéral fait référence au degré d’intervention du gouvernement, tandis que conservateur et socialiste se rapportent respectivement à la droite et à la gauche.

Il y avait de nombreuses causes à la Grande Guerre de 1914, mais aucune n’aurait été suffisante s’il n’y avait pas eu le pouvoir des journaux d’alimenter la colère, la humiliation et la fierté des masses.

Avant la Grande Guerre, la guerre des Boers a donné au monde les premières balles creuses, les uniformes de camouflage militaires et les camps de concentration.

La Grande Guerre a commencé avec beaucoup d’enthousiasme. D’une certaine manière, la guerre était libératrice. Plus de métro-boulot-dodo, fini les quarts de travail en usine. À cause de la mobilisation, il y avait moins de voisins vigilants et plus de possibilités de liberté sexuelle. L’hostilité envers le patron, l’État ou le prochain a été remplacée par celle contre l’ennemi anonyme. Le clergé a également encouragé les combats.

Qu’est-ce qui peut expliquer que les intellectuels aient retourné leur veste ? En fait, la guerre a permis aux créateurs de culture d’être reconnus de leur vivant comme leaders d’opinion. La tentation était irrésistible.

La guerre se caractérise également par un état général de paranoïa et de folie dans la population. Il y avait une dissidence perpétuelle au sein des gouvernements. Par exemple, les politiciens tentaient de prendre l’avantage sur leurs rivaux pour être bien positionnés une fois la guerre terminée. Les journaux devaient être censurés, les décisions devaient plaire à de nombreux maîtres : les dissidents dans les cabinets, les États alliés et l’opinion publique. L’échec devait être masqué ou dissimulé.

L’hallucination collective s’est d’abord évanouie dans les tranchées, où les mots avaient peu de poids comparé à l’expérience traumatique. Incidemment, il y a eu de nombreux épisodes de fraternisation en première ligne.

L’artiste prophète et bouffon

Au lendemain de la Grande Guerre, trois mouvements véritablement amorcés au tournant du siècle marquent l’époque :

– L’émancipation sexuelle

– Les droits des femmes

– État providence

Le mouvement surréaliste lancé par André Gide s’inscrit dans la continuité du mouvement cubiste. Il cherche à donner libre cours à l’inconscient. Il agit comme le fou qui dit des vérités troublantes au monde.

Plus tard, l’art abstrait est allé plus loin en niant l’art. L’objectif était de ridiculiser l’art et d’effacer la beauté. En architecture, les « Arts Déco » ont également voulu donner aux objets un aspect moderne, c’est-à-dire plus industriel et plus éloigné de la forme humaine.

Embrasser l’absurde

Après la seconde guerre mondiale, l’idée qu’il n’y a pas de sens à la vie humaine est devenue plus répandue. Les découvertes scientifiques défiaient régulièrement l’intuition. Les arts ont tenté d’imiter la science en épatant le bourgeois.

Cette époque est celle de l’Absurde. La vie et la nature ne sont plus des références. Des systèmes sont construits pour éliminer l’infinie variété de choses et leur subtilité. Des théories sont créées qui permettent à leurs créateurs de se libérer de la réalité de l’expérience sensible.

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la fin du colonialisme a laissé un ensemble de petits États qui ont été contrôlés tour à tour par les communistes et des dictatures militaires. Divers fondamentalismes ont animé la multitude des peuples mais n’ont pas réussi à les unir. De nombreux conflits ont nécessité l’interventions des grandes puissances. Le monde d’aujourd’hui peut regarder les mêmes films et manger la même malbouffe, mais il est profondément divisé.

L’allégorie du Grand Inquisiteur dans les Frères Karamazov de Dostoïevski explique le dilemme. L’homme de masse est faible, crédule, pécheur. La liberté de choix lui est insupportable et il veut des certitudes. Il est satisfait que d’autres décident pour lui tant qu’il a son pain quotidien. Il veut aussi l’unité, c’est-à-dire la tranquillité d’esprit qui découle du fait de savoir que tous pensent et ressentent la même chose.

En Occident, le désir de sécurité incarné par l’État-providence se double d’un désir de liberté qui lui est incompatible.

Temps démotique

De nombreux gouvernements se disent démocratiques. Dans les pays communistes, ce n’est qu’un faux semblant. Dans les pays occidentaux, les gouvernements ne sont pas démocratiques au sens propre mais seulement représentatifs.

Les sociétés et les individus en Occident n’agissent pas non plus de manière démocratique. Les manifestations sont généralement contre une décision légale. De même, exiger un vote après un sondage s’apparente à de la démagogie.

La tendance la plus forte de la fin du 20ème siècle est le séparatisme. La principale réalisation de l’État-nation a été de réduire le niveau de violence à l’intérieur du pays. Cependant, au cours des dernières décennies, l’Occident a connu une augmentation significative des crimes, y compris dans les écoles publiques.

L’État-providence protégeait non seulement l’individu par le biais de la gratuité des soins de santé et de la sécurité sociale, mais par d’innombrables protections contre tout événement indésirable, qu’il soit accidentel ou intentionnel. L’État devait également financer l’art, la science et éduquer les enfants jusqu’à l’université. Inévitablement, l’État-providence est devenu l’État judiciaire. Offrir des avantages à tous s’est avéré coûteux et a entraîné un niveau d’imposition élevé.

Accessoirement, la sécurité sociale était aussi un filet de sécurité pour la production de masse en assurant un approvisionnement constant d’acheteurs solvables.

Les grandes organisations telles que les entreprises ou les universités ont développé de grandes bureaucraties comparables aux agences gouvernementales. L’homme moderne consacre beaucoup de temps et d’efforts à ses relations avec elles. À cet égard, les temps actuels ressemblent à l’époque d’avant la Révolution française où rien ne pouvait être fait d’une façon simple.

La concurrence de nombreux partis politiques, aggravée si la représentation est proportionnelle, a contribué à promouvoir des intérêts particuliers qui ont utilisé leur pouvoir de négociation pour entrer dans des coalitions. En conséquence, ce n’était pas l’intérêt national qui était poursuivi mais un compromis entre lobbies. Un signe caractéristique de décadence a été les projets de loi proposés, adoptés dans la législation mais bientôt oubliés et jamais mis en œuvre.

Il existe plusieurs autres symptômes de décadence. Un exemple serait la tendance au laisser aller dans l’habillement, les manières et le comportement. Un autre serait le tout en un, qui cherche à satisfaire de multiples envies au même endroit : cinéma, snack, bibliothèque, jeux. Un autre est la grande offre de cours sur les campus universitaires.

L’homme de la fin du 20ème siècle est tourmenté par une conscience excessive de lui-même et de ses motivations. Il est coupable de ne pas être coupable ou de se sentir coupable, ou quoi que ce soit, et il doit avouer n’importe quoi à n’importe qui.

Les attitudes caractéristiques de notre époque démotique, c’est-à-dire familière, sont la compassion, l’irrévérence et la créativité. Ces caractéristiques ne se retrouvent pas nécessairement dans la majorité mais sont suffisamment partagées pour influencer notre ère.

Le divertissement est saturé de sexualité et de violence, sans doute pour stimuler un public assis et passif. Une telle exposition à des scènes choquantes ou dérangeantes a probablement eu un effet déprimant sur la population.

Les institutions, et en particulier les écoles publiques, sont devenues autodestructrices. La pédagogie inutile, la formation inepte des enseignants, la réticence au travail soutenu, l’amour des gadgets, tout cela contribua à la détérioration du système scolaire. À la maison, les enfants trouvaient peu d’encouragements et n’apprenaient même pas les bonnes manières et encore moins le sens moral.

La décadence est également visible dans le sport. Si les performances se sont améliorées, c’est au détriment du fair-play et à l’aide de stéroïdes. Lorsque les équipes se rencontrent pour jouer un match, les supporters créent souvent des émeutes. Les médecins ont perdu leur autorité parce qu’ils semblaient un peu trop motivés par l’argent et pas assez par leurs patients. De même, les professeurs, les avocats et les journalistes sont devenus de plus en plus des objets de mépris.

Seules la science et la technologie semblent en bonne santé à l’heure actuelle.

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