Talent vs chance : la revanche du petit épargnant

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Il y a deux cas dans lesquels un homme ne devrait pas spéculer en Bourse : quand il n’en a pas les moyens et quand il en a.

– Mark Twain

L’investisseur individuel face aux pros

En général, l’investisseur individuel ne fait pas le poids en face des professionnels, qu’il s’agisse de traders ou de gestionnaires de portefeuilles. Ces derniers ont accès à des moyens incomparables et en particulier à une meilleure information; ils ont aussi accès à des deals auxquels seuls les institutionnels sont sollicités.

Toutefois, l’investisseur individuel dispose d’un atout de taille par rapport au professionnel : il n’est pas cantonné à une classe d’actif. Le trader d’obligations gouvernementales ne négociera que des obligations gouvernementales, même si les opportunités sont meilleures dans les autres classes d’actifs ou même dans la catégorie voisine des obligations corporatives.

A l’inverse, l’investisseur individuel peut allouer son capital selon différentes classes d’actifs : immobilier, actions, obligations, métaux précieux, matières premières, cryptomonnaies, ou bulbes de tulipe. Il peut se diversifier géographiquement : actifs européens, américains, japonais ou marchés émergents. Il n’a pas de limites à respecter si ce n’est d’avoir une allocation qui lui permette de dormir tranquille (évitez une allocation de 50% Doge Coin et 50% Shiba Inu).

Naturellement, il n’a généralement pas accès aux projets d’infrastructure, ni au capital-risque, ni au capital-investissement, ni aux fonds spéculatifs. Mais, il peut investir dans l’entreprise de son ami d’enfance ou même créer la sienne. Il aura même sans doute moins de surprises qu’avec des entreprises publiques.

Déterminants du rendement total d’un portefeuille

S’il y a certes un avantage à contrôler l’allocation par classe d’actif, quel est l’étendue de celui-ci ? Autrement dit, est-ce qu’un trader boursier qui sélectionne les actions de son portefeuille fera mieux qu’un investisseur qui peut répartir son capital sur des différentes classes d’actifs ?

C’est ce qu’on voulut mesurer Gary P. Brinson, L. Randolph Hood et Gilbert L. Beebower dans leur papier original en 1986, intitulé judicieusement Determinants of Portfolio Performance.

Pour être plus précis, les auteurs ont cherché à répondre à la question suivante en examinant les investissements des fonds de pensions américains entre 1974 et 1983 : « Quelles décisions d’investissement ont eu les plus grands impacts sur le rendement total et sur la variabilité de ce rendement ? »

Il faut savoir que le gestionnaire d’actifs a pour objectif de battre un indice de référence. Par exemple, s’il se spécialise sur les actions françaises, son indice de référence pourrait être le CAC40.

Le professionnel a deux leviers pour exercer son « talent » :

  • En sur- ou sous-pondérant par rapport à son indice de référence.
  • En sélectionnant des titres de son choix.

La conclusion de l’étude de Brinson et consorts est que de tels choix n’ont qu’une modeste influence sur le rendement total qui est surtout tributaire de la performance de la classe d’actif.

Conclusions de l’étude

Il y a deux conséquences à ce résultat :

  • Puisque la gestion active a une faible valeur ajoutée (en général) par rapport à une gestion passive, il est sans doute préférable pour un investisseur d’opter pour une gestion indicielle (utilisation de Fonds Négociés en Bourse ou ETF en anglais) surtout si l’on tient compte des frais de gestion.
  • Dans la mesure où il est très difficile de faire mieux que le rendement de la classe d’actif, l’essentiel de l’effort d’un investisseur devrait être de répartir adéquatement son capital entre les classes d’actifs.

Le second point n’est pas sans rappeler une citation de Warren Buffet, à savoir qu’il vaut mieux être moyen dans un bon secteur qu’être bon dans un secteur moyen.

Dans le même ordre d’idée, à l’extrême limite, choisir la bonne classe d’actif au bon moment est probablement plus payant que d’espérer trouver la bonne action à acheter, en particulier dans un marché boursier surévalué comme en 2021.

L’étude précédente est un peu ancienne, mais elle a été mise à jour en 1991 avec les mêmes conclusions. Ce papier a eu une très grande influence sur le développement de la gestion indicielle et celui des FNB.

Mise à jour de l’étude

En 2000, une autre étude réalisée par Paul Kaplan et Robert G. Ibbotson confirme à nouveau les résultats précédents et va un peu plus loin :

  • En ligne avec l’étude de Brinson et consorts, 90% des hausses et des baisses au cours du temps sont le résultat de la politique d’allocation.
  • D’autre part, 40% des différences de performance entre fonds, est attribuable à des différences dans leur politique d’allocation.

Les auteurs notent que le choix de Brinson et consorts de baser leur analyse uniquement sur des fonds de pension – qui ont une réputation conservatrice – a eu une influence sur le résultat de l’étude. En effet, les fonds de pension révisent rarement leur politique d’investissement. Dit autrement, la question répondue par Brinson et consorts est plutôt :

« Quelles décisions d’investissement ont eu les plus grands impacts sur le rendement total et sur la variabilité de ce rendement sachant que la politique d’investissement reste fixe ? »

Pour l’investisseur individuel qui investit à long terme, cela ne change rien.

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